Dans le Journal des économistes de septembre 1884, Ernest Martineau avait réclamé contre le libellé d’une question à la Société d’économie politique, portée par Léon Say, sur le motif qu’elle se fondait sur le postulat erroné que la liberté produit des torts, qu’il peut être dès lors souhaitable ou nuisible de combattre. Léon Say ayant répondu entre temps que son opinion n’était pas que la liberté produit des torts, Martineau peut se féliciter de cet accord sur ce point qu’il considère comme important.
Ernest Martineau, « Réponse à M. Léon Say », Journal des Économistes, novembre 1884.
CORRESPONDANCE
À M. LE RÉDACTEUR EN CHEF DU Journal des Économistes.
Je crois devoir fournir quelques mots d’explication en réponse à la lettre de M. Léon Say que vous avez insérée dans le dernier numéro du Journal.
M. Léon Say avait posé, dans les termes suivants, la question qui a fait l’objet de la discussion de la Société d’économie politique, à la date du 5 juillet dernier : « Faut-il employer les agents du fisc comme des redresseurs des torts de la liberté ? » Après avoir cité cette phrase dans ma lettre du mois de septembre, j’ai fait cette observation : Il m’est impossible de comprendre qu’il puisse y avoir lieu de redresser les tortsde la liberté et, développant cette idée, j’ai ajouté que la liberté ne peut avoir des torts, puisqu’elle se confond avec le droit lui-même.
« Je n’ai pas voulu, dit M. Léon Say, résoudre par l’affirmative la question posée, et je suis au contraire partisan très résolu de la négative. » Certes, si j’avais eu la pensée de prêter à notre éminent président l’opinion contre laquelle il proteste avec tant de raison ; si je l’avais cru partisan d’une opinion socialiste, grande aurait été mon erreur, autant d’ailleurs que mon ignorance des doctrines économiques, exposées notamment avec tant de netteté dans son ouvrage sur le Socialisme d’État. Mais je n’ai pas commis cette erreur, et ce qui le prouve, c’est que j’ai eu soin de faire remarquer que M. Léon Say appartenait à la grande école des économistes libéraux, ce qui excluait l’hypothèse d’une solution de la question dans le sens socialiste.
Mais je n’ai pas voulu dire que M. Say était partisan d’une solution affirmative de la question ; j’ai voulu uniquement combattre cette idée, à savoir que la liberté a des torts, idée qui me paraissait affirmée implicitement dans les termes de la question par lui posée.
Si, en effet, la liberté a des torts, il faut logiquement admettre qu’il y a lieu de les redresser. Il est donc de la plus haute importance de s’arrêter à ce premier point pour l’examiner ; car si, comme je le crois, et la démonstration en est facile à faire, la liberté ne peut avoir de torts, par cette raison décisive et sans réplique que la notion de la liberté se confond avec celle du droit et de la justice, la question du redressement des torts de la liberté ne peut pas même se poser ; une fin de non-recevoir absolue se dresse contre toutes les solutions artificielles du socialisme, à savoir que, combattre la liberté, c’est combattre le droit, c’est bâtir sur un fond d’injustice et d’iniquité.
Telle a donc été ma pensée, combattre cette prémisse : la liberté a des torts. J’avais supposé que M. Léon Say admettait cette opinion, et cela me semblait résulter des termes mêmes de la question par lui posée. Dans sa lettre, il soutient, au contraire, qu’il est absolument d’accord sur ce point avec M. Frédéric Passy ; or, comme M. Passy est un adepte fervent des doctrines de Bastiat, il s’ensuit que je me suis trompé sur la portée des expressions employées par M. Say, qui repousse, comme je le fais, le système des torts de la liberté, et je suis heureux d’avoir provoqué les explications contenues dans sa lettre, qui écartent toute espèce d’équivoque ; j’ajoute en terminant que ce sera toujours pour moi une satisfaction grande d’être d’accord, en matière économique, avec notre éminent président, qui porte un nom cher à tous ceux qui cultivent et aiment l’économie politique.
E. MARTINEAU.
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