Dans la controverse sur l’utilité ou l’inutilité des colonies, l’abbé de Saint-Pierre défend dans la première moitié du XVIIIe siècle une position qui se retrouvera, avec des développements et des aménagements, chez les grands auteurs libéraux de la seconde moitié du siècle. Coûteuses à établir, coûteuses à maintenir, les colonies ne développent pas le commerce, quand elles l’enserrent dans des monopoles et des restrictions. Si elles peuvent servir à enrichir quelques familles d’un État, elles sont à charge pour la nation tout entière.
Observations sur les colonies éloignées
par l’abbé de Saint-Pierre
[Ouvrages de politique et de morale, t. X, 1735, p. 278-280.]
Depuis que j’ai vu le Discours du chevalier Petty, Anglais, sur les colonies éloignées, j’ai bien rabattu de l’estime que j’en faisais par rapport à l’utilité de la nation qui fournissait des habitants à ces colonies. Je crois au contraire qu’elles lui sont à charge, quoiqu’elles puissent être utiles à quelques familles particulières, aux dépens de quelques autres du même État.
La grande raison de l’auteur, c’est que si la colonie est petite, elle peut facilement être envahie ; si elle est grande, elle sera souvent tentée de se révolter, et de refuser les tributs à sa mère. Or dans les deux cas, la nation mère en serait d’autant affaiblie.
Il est vrai que dans le système de la Diète européenne, cette raison perdrait toute sa force ; et même la nation mère, pour conserver sa fille obéissante, n’aurait point besoin, ni de diminuer la liberté de la colonie dans une partie de son commerce, ni d’en user avec elle avec des manières impérieuses, contraignantes et tyranniques.
De là il suit que pour répondre à votre question, il faut distinguer.
Dans le système de la police générale de la Diète européenne, je suis de votre avis. Les colonies françaises éloignées peuvent être utiles à la France, même en les laissant jouir du même degré de liberté dont les Français jouissent dans nos provinces : c’est que les bonnes terres, bien arrosées de ruisseaux et de rivières navigables, bien plantées d’arbres, et où il y a de bons ports de mer, et où il croît des fruits utiles à la santé et au commerce qui ne viennent pas dans le pays de la nation, sont des biens nouveaux que cette nation peut ajouter à ses biens anciens.
Mais dans le système d’impolice européenne où nous sommes encore, je suis de l’avis du chevalier Petty.Il y a le plus souvent pour l’État plus à perdre qu’à gagner, à former des colonies éloignées.
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