De l’organisation des armées dans les États, par Gustave du Puynode

Moins d’un an après que le président Louis-Napoléon Bonaparte soit devenu l’Empereur des Français, Gustave du Puynode étudie, dans un article courageux dont la rédaction du Journal des économistes lui laisse timidement la responsabilité, la nature et le rôle des armées dans les sociétés libres et industrielles. Contre Benjamin Constant et d’autres esprits libéraux, qui veulent réformer ou supprimer l’armée, il réclame la constitution forte d’une armée de volontaires, tenus par l’ordre et la disciple, et payés pour leur fonction, laquelle ne doit être légitimement que la protection du territoire national.

 


DE L’ORGANISATION DES ARMÉES DANS LES ÉTATS[1].

par Gustave du Puynode

(Journal des économistes, octobre 1853.)

LE SERVICE MILITAIRE EST UN IMPÔT. — LE RÔLE DES ARMÉES ET DES MILICES DANS L’ACTIVITÉ SOCIALE CONFORME À LA DIVISION DU TRAVAIL. — LE RECRUTEMENT. — L’INSCRIPTION MARITIME. — LA DISCIPLINE. — CONCLUSION : RÔLE DES ARMÉES DANS LA CIVILISATION MODERNE.

I.

Chez les peuples démocratiques, écrit M. de Tocqueville, l’ambition et les habitudes se portent vers le commerce ou l’industrie, et abandonnent l’armée. Ce n’est pas seulement la rareté d’hommes oisifs et inutiles, dit de son côté Heeren, ni la facilité de gagner sa subsistance, qui détournent les peuples commerçants de prendre une part active à la guerre, c’est plutôt le peu de considération accordée au militaire chez ces peuples, où le négociant est tout, et principalement dans les républiques, où le soldat salarié est regardé comme un homme aux gages du citoyen[2]. Il y a dans ces deux opinions une incontestable vérité, une semblable justesse d’observation ; mais le temps n’est pas venu cependant où l’armée compte peu parmi les États démocratiques et industriels eux-mêmes. La réalité, sur ce point, n’a pas encore remplacé la tendance. Non seulement, après dix-neuf siècles de christianisme, la paix est demeurée à l’état de problème dans le monde, mais les pensées, les coutumes se rapprochent encore beaucoup de celles de la féodalité par rapport aux hommes d’armes. De nos jours aussi, la carrière militaire plaît surtout en Europe, et les présidents des républiques du Nouveau-Monde ne sont guère que des généraux.

Si contraires que soient le négoce et les mœurs démocratiques aux idées et aux entreprises guerrières, ils n’y mettront d’obstacles réellement puissants que lorsque les relations commerciales, plus étendues et plus libres, créeront des liens infinis entre les nations, et que les démocraties, plus soigneuses de leurs intérêts, plus maîtresses de leurs destinées, seront passées des institutions despotiques aux institutions parlementaires.

Quoi qu’il arrive, au reste, il y aura toujours des précautions à prendre, une force publique à entretenir pour assurer la sécurité des frontières, pour garantir l’exécution des sentences des magistrats et pour prévenir les délits ou les crimes. On a souvent demandé, depuis l’abbé de Saint-Pierre, que pour les différends internationaux au moins l’arbitrage fût substitué à la force. Cela est souhaitable assurément ; mais si les États en dissidence devaient s’en remettre à des juges établis d’avance, sans pouvoir ni les récuser jamais ni leur désobéir, ils cesseraient d’être souverains. En cas d’arbitrage, encore faut-il que les gouvernements choisissent leurs arbitres et posent leurs conditions. La paix semblerait-elle, d’ailleurs, très consolidée parce qu’un nouveau traité interviendrait entre les princes ? Il lui faut d’autres bases, et je les ai déjà indiquées : une grande industrie, une véritable liberté.

L’histoire est là aussi pour en témoigner : malgré tous les efforts, en effet, l’Antiquité et le Moyen-âge se sont passés au sein des guerres, et c’est au bruit des batailles que s’est clos le dernier siècle et qu’a commencé le nôtre. La religion, autant que la philosophie et la politique, a échoué dans ses pacifiques conseils. C’est qu’il n’est point de pensées victorieuses, de sentiments stables sans fondements matériels. L’intérêt n’est pas tout chez l’homme ; mais il compte trop dans ses décisions pour que ce ne soit pas la base à choisir pour tout ce qu’on veut puissant et durable ; et, pour que l’intérêt triomphe, il faut qu’il puisse se faire entendre.

Il y a donc lieu de rechercher encore, et tant que les peuples et les gouvernements ne seront pas parfaits, il y aura lieu de rechercher quelle organisation doit avoir l’armée, et quel rôle lui revient. La Révolution française, obéissant à l’opinion générale du dix-huitième siècle, s’était proposé d’avoir des armées de citoyens. Ses premiers décrets rappelaient ces paroles de Montesquieu : « Pour que la puissance exécutoire ne puisse pas opprimer, il faut que les armées qu’on lui confie soient peuple, et aient le même esprit que le peuple. Et pour que cela soit ainsi, il n’y a que deux moyens, continuait Montesquieu : ou que ceux que l’on emploie dans l’armée aient assez de bien pour répondre de leur conduite aux autres citoyens, et qu’ils ne soient enrôlés que pour un an, comme il se pratiquait à Rome ; ou, si l’on a un corps de troupes permanent, et où les soldats soient une des plus viles parties de la nation, il faut que la puissance législative puisse le casser sitôt qu’elle le désire ; que les soldats habitent avec les citoyens, et qu’il n’y ait ni camp séparé, ni casernes, ni places de guerre[3]. » Mais bientôt la Révolution renonça d’elle-même à ce système, moins séduisant encore qu’il n’est erroné et funeste.

Montesquieu, en effet, et je m’arrête à son opinion, parce qu’elle résume le mieux celle de tout son siècle, ne critiquait pas seulement, dans le passage que je viens de citer, l’organisation de l’armée telle qu’elle s’offrait à ses yeux, il proposait réellement de détruire l’armée. Que serait, de fait, une armée recrutée pour un an et composée uniquement de gens riches ? Ou que serait-elle sans camps ni casernes, sans aucune place de guerre ni d’autres chefs qu’un Parlement ? L’armée, c’est le bras, c’est la force du pouvoir, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Cette force lui est tellement nécessaire, qu’on ne saurait le comprendre s’il en était dénué. Il la faut donc constituer de manière qu’elle rende les services qu’on en doit attendre. Et si un peuple a grande raison de limiter avec soin, avec rigueur les fonctions du pouvoir, ses droits, ses attributs, il a grand tort de le vouloir énervé, affaibli, impuissant dans le cercle qu’il lui trace. Placez la barrière où vous la croyez utile, mais dans l’arène qu’elle termine, loin de vouloir la débilité, souhaitez plutôt de rencontrer de la vigueur, du ressort, de la vie, de la dignité. En s’en prenant à l’organisation des troupes, on les affaiblira, et, pour leur redonner la force qui leur est indispensable, on se verra contraint d’augmenter leurs cadres : sera-ce un profit ?

À certains moments, je le sais, des armées semblent sortir du sol. D’un élan elles courent aux frontières, et, avant d’apprendre ce que c’est qu’une consigne, elles gagnent des victoires. Sublimes conscrits de 1792, vous avez sauvé la France ! Transportés d’enthousiasme, vous avez triomphé des plus vieilles troupes de l’Europe ! Certes, c’est là une trop belle gloire, surtout dans un temps aussi triste et aussi coupable, pour qu’on l’oublie jamais. Mais ne serait-ce pas le comble de la folie que de se régler sur l’héroïsme ? Ne serait-ce pas la plus criminelle imprévoyance que de baser ses lois sur l’extraordinaire ? Les hommes politiques n’ont pour séjour ni la Cité du soleil de Campanella, ni la République de Platon. D’ailleurs, si de jeunes soldats sont heureux au début d’une campagne, ils cessent toujours de l’être lorsqu’elle se prolonge. Gustave Adolphe vainc à Leipzig, mais il succombe à Lutzen ; et quelles défaillances assiégeaient Washington, dans sa lutte immortelle contre l’Angleterre, à l’aspect des troupes volontaires qu’il commandait ! Il n’est aucune profession, et moins celle des armes que beaucoup d’autres, dont l’apprentissage, l’habitude, l’esprit soient inutiles.

Désapprouvant une organisation militaire débile, énervée, comment admettrais-je ces plans de dissolution des armées permanentes, sortis d’esprits si remarquables souvent, mais toujours si aveuglés ? Malgré les remontrances de l’évêque de Lisieux à Charles VII, je ne crois pas au progrès qui nous reporterait au-delà de ce roi. Je le répète, puisqu’il faut des soldats, le mieux est de les avoir capables et aguerris. Parmi les économistes qui se sont occupés de ce sujet, il n’est cependant que Smith et Rossi qui aient préféré les armées permanentes aux milices nationales[4]. C’est d’autant plus étrange que la division du travail est l’un des principes fondamentaux de l’économie politique.

Ce qui a fait attaquer les armées permanentes et toutes celles fortement constituées, c’est, avec un sentiment peu réfléchi de philanthropie, la crainte plus fondée qu’elles ne nuisent à la liberté. Un chef qui dispose de vaillantes troupes, formées à l’obéissance, habituées aux armes, conduites par des chefs qu’il nomme, peut beaucoup oser, et ose trop souvent ; c’est vrai. Tout ensemble, rien n’est plus opposé à l’esprit libéral que l’esprit militaire. L’éducation des armes, la vie des camps, les préjugés de l’uniforme, la hiérarchie des hommes de guerre, leur éloignement des études de législation, de finance, d’économie politique, les rendent partout contraires aux institutions représentatives plus encore qu’aux habitudes civiles[5]. Leurs idées politiques dépassent à peine leurs leçons de théorie; ils comprennent difficilement que les peuples ne se conduisent pas comme des régiments.Mais un danger ne suffit pas pour ôter à une institution indispensable les conditions sans lesquelles elle cesserait d’exister. Il faut combattre ce danger ; il ne faut pas détruire cette institution.

L’esprit des hommes d’armes explique aussi pourquoi l’on a échoué toutes les fois qu’on a confié le commandement de l’armée à la puissance législative en le retirant à l’exécutive. « Il est dans la manière de penser des hommes, disait Montesquieu, malgré ses paroles précédentes, que l’on fasse plus de cas du courage que de la timidité ; de l’activité que de la prudence, de la force que des conseils. L’armée méprisera toujours un sénat et respectera ses officiers. Elle ne fera point cas des ordres qui lui seront envoyés de la part d’un corps composé de gens qu’elle croira timides et indignes par là de lui commander. Ainsi, sitôt que l’armée dépendra uniquement du pouvoir législatif, le gouvernement deviendra militaire. Et si le contraire est jamais arrivé, c’est l’effet de quelques circonstances extraordinaires… Si des circonstances particulières empêchent le gouvernement de devenir militaire, on tombera dans d’autres inconvénients : de deux choses l’une, ou il faudra que l’armée détruise le gouvernement, ou que le gouvernement affaiblisse l’armée. Et cet affaiblissement aura une cause bien fatale ; il naîtra de la faiblesse même du gouvernement[6]. » Jamais, assurément, le génie de Montesquieu n’a été plus pénétrant…

C’est, d’ailleurs, ne pas comprendre la nature de la puissance exécutive ni celle de la puissance législative que de vouloir retirer le commandement de l’armée à la première pour le remettre à la seconde. Une fois la décision prise, la législature n’a plus de rôle ; il ne s’agit ensuite que de l’exécution, et c’est pour l’exécution qu’il est besoin de force. Sans doute une décision veut être obéie, elle n’est prise que dans ce but ; mais si l’on suppose la lutte entre les deux pouvoirs ; si l’exécutif ne tient plus compte de la volonté ni de la surveillance du législatif, quelle règle se pourrait encore indiquer ? Au sein de l’anarchie, nul principe n’est respecté, tout est remis à la ruse ou à la violence.

Benjamin Constant, qui se préoccupait beaucoup de l’armée, ne s’associe pas aux vœux ou aux systèmes que je viens de combattre ; mû aussi par les craintes qui les ont suscités, il demande que l’armée n’abandonne jamais les frontières pour les garnisons de l’intérieur. Peut-être n’y verrait-il cependant nul grave inconvénient dans un très petit État, où chacun se connaîtrait, où le sol natal serait tout le territoire, où le soldat ne cesserait d’être entre ses parents et ses amis. Mais il pense tout autrement dès que le pays est assez étendu pour que les troupes puissent être transportées dans des lieux qu’elles ne connaissent point, parmi des populations qui leur sont étrangères. « Envoyez aux Pyrénées, dit-il, l’habitant du Jura, et celui du Var dans les Vosges ; ces hommes, soumis à la discipline qui les isole des naturels du pays, ne verront que leurs chefs, ne connaîtront qu’eux. Citoyens dans le lieu de leur naissance, ils seront des soldats partout ailleurs. En conséquence, les employer dans l’intérieur d’un pays, c’est exposer ce pays à tous les inconvénients dont une grande force militaire menace la liberté, et c’est ce qui a perdu tant de peuples libres[7]. »

Je l’ai déjà reconnu, tout grand établissement militaire porte avec soi d’immenses périls. Non seulement le chef des troupes, se confiant aux forces dont il dispose, peut briser les libertés publiques ; mais revenant à la tête de soldats victorieux, que la discipline a formés à l’obéissance, qui n’ont plus pour patrie que leur camp ou leur caserne, dont les intérêts et les mécontentements ont été soigneusement stimulés et entretenus, un général peut aussi déchirer les lois de son pays. Le souvenir de César n’a pas arrêté l’ambition militaire dans l’Antiquité, ni celui de Campagnola dans le monde moderne. Toutefois, faut-il pour cela cantonner les troupes sur les frontières ? Je ne le crois pas non plus.

Lorsqu’un coup de main militaire change des constitutions, renverse des gouvernements, renouvelle des dynasties, le peuple est toujours en effet de plus de moitié dans l’entreprise. Ou fatigué de l’anarchie et effrayé de l’avenir, il court au-devant de l’épée dont il espère son salut ; ou ne sachant plus que faire de lui-même, soûl de bassesse, exténué de corruption, il s’en remet au bras qui peut encore le soutenir. La liberté ne s’accommode pas plus de l’avilissement que du désordre. Rome tout entière a salué César, l’Angleterre Cromwell, la FranceNapoléon. Les nations, comme les hommes, se font leur sort, et il est rare qu’elles n’aient pas celui qu’elles méritent.Chez des peuples que la peur aveugle ou que la corruption accable, placez l’armée sur les frontières ou laissez-la dans l’intérieur, respectez ou modifiez sa constitution, pourvu qu’elle existe encore, et le résultat sera le même : avec plus de temps, après plus de maux, c’est possible ; mais l’armée s’emparera toujours du pouvoir ou servira à s’en emparer. Les plantes, faites pour le soleil, meurent et se corrompent sous les glaces ; la liberté, née pour l’ordre et la dignité, disparaît dès qu’elle ne les rencontre plus. Ne vous appliquez donc pas tant, par amour des franchises publiques, à éloigner ou à affaiblir l’armée, qu’à donner aux populations le goût et les mœurs de l’indépendance. Un homme d’État anglais disait dernièrement : Les opinions, à notre époque, sont plus fortes que les armées. C’est vrai sous tous les rapports, à tous les points de vue dans un pays libre et qui mérite de l’être. Ailleurs, quelles que soient les lois, quelques précautions qu’on prenne, on ne trouvera jamais que des masses serviles à la merci des tribuns ou des gouvernants.

Il faut, du reste, malgré l’opinion de Benjamin Constant, empêcher les révoltes, les séditions, les troubles intérieurs aussi bien que les invasions étrangères. Je ne parle pas ici des atteintes isolées portées à la propriété ou aux personnes, des désordres individuels ; la gendarmerie y suffit. Et bien que la gendarmerie fasse partie de l’armée, elle reste pourtant distincte des troupes ordinaires, et ne saurait inspirer les mêmes craintes. Elle est disséminée par faibles brigades sur tout le territoire, et ne se réunirait sur un point qu’en laissant tous les autres à la discrétion des criminels ; elle connaît sa destination et y est attachée ; elle a des rapports aussi constants avec des magistrats ou des administrateurs qu’avec ses propres chefs, et ne cède ni aux passions ni aux coutumes des corps séparés de la population civile. Les plus fous des utopistes seuls ont porté contre la gendarmerie les mêmes accusations que contre les troupes de ligne.

Mais pour les crimes publics, pour ces séditions, ces troubles intérieurs dont je parlais à l’instant, comment la gendarmerie seule les préviendrait-elle ou les réprimerait-elle ? Évidemment, elle ne le pourrait pas. Il est vrai qu’on oppose alors à l’armée la garde nationale. Mais la garde nationale est l’institution la plus fausse, la plus dangereuse, la plus antilibérale qui existe. « Il faudrait avoir bien mauvaise opinion de la moralité ou du bonheur d’un peuple, a-t-on dit, si la garde nationale se montrait favorable à des rebelles, ou si elle répugnait à les ramener à l’obéissance légitime. Contre des rébellions, des attroupements, les citoyens qui aimeront la constitution de leur pays, et tous l’aimeront, puisque leurs propriétés et leurs libertés seront garanties par elle, s’empresseront d’offrir leur secours[8]. » Mais où donc en a-t-il été ainsi, et qui, de nos jours, répéterait ces paroles ? Au sein de l’ordre, la garde nationale reste au moins une inutilité ; dès que naît le péril, elle devient un embarras…

Il faut en tout un but et des moyens sérieux. Or, une nation laborieuse, occupée, comme toutes le sont et doivent l’être à notre époque, qu’a-t-elle à faire de jouer au soldat, de parader en uniforme, de monter des factions ? Ses heures sont trop précieuses pour de tels emplois, dans les démocraties surtout, où chacun doit gagner son salaire. Les communes du Moyen-âge avaient sagement agi en payant des troupes pour que leurs citoyens restassent dans leurs ateliers.

Supposez un État quelconque de l’Europe continentale n’ayant comme garantie de l’ordre que la garde nationale, et qui s’y croirait assuré du lendemain ? Qui se fierait aussi à une pareille troupe pour la défense des frontières en cas de guerre, comme le veulent les diverses lois qui l’ont organisée ? D’ailleurs, enlever, à ces moments, sur tout le territoire, les citoyens mêlés aux affaires industrielles, les entrepreneurs de négoce, les capitalistes, les agriculteurs, les ouvriers, pour les porter aux frontières, ne serait-ce pas engendrer la perturbation la plus funeste, faire naître la crise la plus redoutable ? Enfin, le génie, l’artillerie et la cavalerie exigent une instruction militaire, que ne pourra jamais acquérir la garde nationale, et que serait une armée dénuée de ces corps, soit à l’intérieur, soit aux frontières ? Les milices des États-Unis ont repoussé les sauvages et contribué à la conquête d’une partie du Mexique, je le sais ; mais je sais aussi ce qu’étaient les Indiens et ce que pouvait le Mexique.

On réclame l’institution de la garde nationale, dans le but de combattre les séditions et de garantir les libertés ; mais c’est le comble de la déraison de répandre des armes parmi des populations disposées à la révolte, et c’est le comble de l’imprévoyance de stimuler l’esprit militaire dans les États qu’on veut libres.

II.

Les troupes inspirent d’autant plus de défiance, ce que j’ai dit jusqu’ici le montre et l’explique suffisamment, bien que je me sois éloigné des conclusions que cette défiance inspire d’ordinaire, qu’elles sont plus séparées des citoyens, plus attachées à leurs drapeaux, plus dévouées à leurs chefs. Aussi, au point de vue politique comme au point de vue militaire, et sous le rapport du droit et des intérêts du travail, sont-ce de graves questions que celles de savoir combien de temps doit durer le service de l’armée, comment elle se doit recruter, et qui la doit composer.

Pour avoir une véritable armée, je l’ai déjà remarqué, il faut au service militaire une durée assez longue. En France, où la population est si merveilleusement apte à ce service, l’instruction de l’infanterie réclame au moins un an, celle de la cavalerie et des armes spéciales au moins trois ans, et après ce temps, les soldats n’ont guère encore que l’esprit et les mœurs de conscrits. Personne n’ignore que la Prusse, qui se contente d’un service de trois ans, ne pourrait réellement pas compter sur son armée[9].

On a souvent prétendu corriger les défauts d’un service actif trop court par la formation d’une réserve, composée des soldats qui quittent les drapeaux. Mais des troupes de réserve présenteront toujours l’aspect et les conditions des gardes nationales. Grâce à sa landwehr, la Prusse peut, il est vrai, réunir 500 000 hommes dans ses camps, bien que son effectif réel ne soit que de 120 000 hommes ; mais quel général ne préférerait de bonnes troupes moitié moins nombreuses ? Qui n’aperçoit à la fois les pertes et les mauvais usages qu’entraîne chez un peuple l’appel au moins annuel dans des camps de manœuvre de la réserve, forcément très étendue et mêlée à toutes les professions sociales[10] ?

Par contre, le recrutement opéré pour la vie entière ou pour une trop longue suite d’années tient de l’esclavage. Et c’est alors surtout que l’armée apparaît comme tout à part dans le pays, comme n’ayant ni liens de famille ni attaches au territoire, et que, par un penchant naturel aux hommes, elle jalouse ou méprise les citoyens qui l’entourent, hait ou incrimine les libertés dont elle ne jouit pas. Elle est toujours bien près alors de rappeler les prétoriens de Rome. Voyez, par exemple, les troupes russes, fixées presque sans espoir de retour dans leurs cadres, quel souffle de vie civile les anime encore, quel sentiment de dignité humaine semble leur rester ? Ce ne sont plus que des machines à la merci de la main qui les met en mouvement. L’homme y existe à peine ; là encore, il n’y a que des serfs. Et comme un tel résultat ne s’obtient pas sans résistance, il y faut une discipline atroce, qui excite aux désertions et souvent pourvoit la mort[11]. Rien ne manque, Dieu merci, à cette muette et sanglante tyrannie du Nord. Ses innombrables troupes ont bien pu déchirer le sein de la Pologne, dès longtemps épuisé de lui-même ; mais une poignée de montagnards les tient en échec sous les cieux libres du Caucase.

D’autre part, lorsque le recrutement arrache aux familles quelques-uns de leurs membres pour ne les leur rendre jamais ou presque jamais, il en résulte un effet que les hommes politiques ont rarement aperçu : un détestable stimulant à la population. Les époux savent dès lors qu’un ou plusieurs de leurs enfants ne devront point compter parmi leurs descendants, et règlent leur conduite sur cette donnée[12]; tandis que, lorsque le service militaire est sagement limité, le père de famille ne peut méconnaître que tous ses enfants prendront part à son héritage, recueilleront le sort que sa sagesse ou son imprévoyance leur aura ménagé, et rien alors ne détruit le sentiment de sa responsabilité.

Le service militaire doit donc être temporaire, tout en étant assez durable. En Angleterre, aujourd’hui, le soldat sert dix ans dans l’infanterie et douze ans dans les autres armes. Je préférerais, quant à moi, le terme de dix-huit ans qui y était fixé[13] d’une façon uniforme, il y a encore peu d’années ; il garantissait à l’État d’excellentes troupes, sans avoir rien d’excessif, avec de très faibles recrutements annuels.

Mais comment doivent s’opérer les recrutements ? Est-ce au moyen d’un appel forcé, ou d’un appel volontaire ? Est-ce par la conscription, ou par des engagements ?

La conscription, dont l’origine remonte parmi nous à Louis XIV, est un impôt payable chaque année par la population, comme l’est l’impôt foncier par les terres. C’est l’impôt du sang ; on a eu raison de le nommer ainsi. Seulement, c’est un impôt qu’aucune combinaison ne saurait rendre proportionnel, par conséquent équitable. La taxe en argent se mesure à toutes les richesses, se répartit selon toutes les convenances ; mais comment mesurer et répartir la contribution en hommes ? Riche ou pauvre, toute famille la doit également ; elle la doit également encore, que chacun de ses membres soit valide ou que la plupart soient maladifs ; qu’elle compte des filles en outre des garçons ou qu’elle n’en compte point. Et ingéniez-vous à modifier les lois de la conscription, n’admettez sur vos listes que les jeunes gens propres au service, ne les formez qu’après vous être assuré de la composition de chaque famille, et vous arriverez toujours à de pareilles inégalités. L’impôt qui n’est pas divisible et ne s’acquitte pas en une matière que tous possèdent ne sera jamais proportionnel ; c’est dire, je le répète, qu’il ne sera jamais juste. C’est une charge qui ne se mesure point aux ressources, c’est une dîme sans progression.

La loi française a entouré la conscription de toutes les garanties possibles, s’est appliquée à en corriger tous les défauts, et l’on pourrait encore la nommer une injustice sans exemple, comme le tiers-état faisait, aux derniers États généraux, du tirage à la milice. C’est toujours le sort, dans ses plus aveugles caprices, qui décide. Et cela, sous une législation pénale qui range parmi les délits les jeux de hasard, et sous une législation civile qui annule les contrats aléatoires. Qu’importe, par exemple, que le jeune conscrit soit utile ou non à ses parents ? Qu’importent ses désirs ou ses répugnances, ses habitudes et son esprit ? Il est propre à porter un fusil, cela suffit. C’est le contraire de certaines théories socialistes, où chacun choisit sa profession avec la plus entière liberté, au risque malheureusement d’en laisser vacantes un bon nombre.

Tout ensemble, le travailleur, au terme d’un apprentissage, qui a coûté ses dernières épargnes à son vieux père ; qui devrait, tout en soutenant ce dernier maintenant, s’amasser un pécule, pour se préparer au mariage, ou pour subvenir plus tard aux besoins des chômages et des maladies, part pour l’armée, s’il tire un mauvais numéro. Et là, se perdent ses habitudes laborieusement acquises, son savoir chèrement acheté, ses pensées d’atelier, ses plus belles années. Il n’en reviendra qu’inutile aux autres et à lui-même, si la corruption ne s’ajoute pas encore à sa nouvelle ignorance. Le riche, malheureux au tirage, au contraire, en est quitte pour acheter un remplaçant. L’un s’en va gâter à jamais sa santé dans les sables de l’Afrique, ou s’avilit dans le désœuvrement des garnisons, à présent qu’il ne meurt plus aux champs de Fontenoy ou de Marengo ; l’autre, moyennant une pile d’écus, reste à ses plaisirs ; il ne doit rien de plus à sa patrie. C’est cependant un grand progrès sur les temps passés que de ne plus laisser aux classes inférieures seules la charge légale du service militaire, comme de ne plus leur retirer l’espoir des grades ; criantes injustices, odieuses oppressions, qui se retrouvent cependant encore dans plusieurs États modernes[14].

Au moins chaque personne désignée pour le service devrait-elle s’y soumettre ; il en est de la sorte en Prusse, et le moindre sentiment d’équité le commande. Cela aurait l’immense avantage, en outre, de rendre les législateurs plus soucieux de la vie des armées, plus économes du temps, de l’argent, du sang des peuples, plus dévoués aux intérêts de la paix. Ils s’aviseraient probablement alors qu’on ne doit épuiser ni ruiner un État pour la splendeur ou les caprices d’un prince.

Enfin, pour répondre à toutes les objections, l’impôt acquitté en argent rapporte toujours autant à l’État, quelques mains qui l’acquittent ; tandis que, parmi les conscrits de vingt-et-un ans, comme c’est la règle en France, ceux-ci sont robustes, intelligents, disposés au service, et ceux-là sont faibles, abrutis, fainéants. Or, si vous retardez l’époque du tirage, vous trouverez des habitudes prises, des caractères formés ; si vous l’avancez, au contraire, vous recruterez des enfants, selon une expression de caserne, du gibier d’hôpital. Dans les confins militaires de l’Autriche, tout individu capable de porter les armes peut être appelé au service de dix-huit à cinquante ans ; mais s’il n’est requis que vers la fin de ce temps, se pliera-t-il aux habitudes des camps ? Et s’il l’est dès le commencement, ne rappellera-t-il pas les soldats de nos anciennes milices, qui tiraient à seize ans[15] ?

Cependant, pour ceux, parmi nous, qui ne vont pas jusqu’à présenter la conscription comme « le mode de recrutement le plus juste, le plus doux, le plus avantageux au peuple », ainsi que faisait Napoléon, dans une appréciation qu’il a contredite plus tard par cette autre : « La conscription est la loi la plus affreuse et la plus détestable pour les familles, mais elle fait la sécurité de l’État[16]» ; pour ceux, dis-je, qui ne vont pas jusque-là, il est avéré que la conscription ne répugne point aux populations, et convient en effet à l’État. Sans voir d’armée possible autrement, ils peignent d’ordinaire les jeunes gens dans la joie au moment du tirage, ce coup de dé d’où dépendra leur vie. Considérez pourtant toutes ces craintes, toutes ces sollicitations, toutes ces maladies volontaires, toutes ces cruelles blessures qu’ils ressentent, qu’ils poursuivent ou s’imposent, lorsque vient cette époque. Sans doute, une fois dans les rangs, le fusil sur l’épaule, le soldat de France s’en ira sans peur ni souci jusqu’aux plus lointaines régions, crût-il n’en point revenir ; mais au moment du départ, pensant aux liens qu’il laisse, à tout l’avenir qu’il brise, regardez son aspect et celui de sa famille. Il y a longtemps que les Germains de Tacite n’habitent plus la Gaule.

Le seul mode juste de recrutement de l’armée, de même que le plus avantageux, le plus profitable, c’est l’engagement volontaire. Il respecte la loi de toutes les professions, il détruit tout hasard et tout asservissement ; il règle la solde des troupes sur les services qu’on leur demande et l’état de la population, comme le salaire de tous les ouvriers, comme le prix de tous les travaux ; il n’ouvre enfin la carrière militaire qu’à ceux qui se sentent disposés à la parcourir.

En Angleterre et aux États-Unis, l’armée et la marine se recrutent de cette façon, car la presse n’est plus qu’à l’état de lettre morte dans les lois britanniques ; et quels plus beaux régiments que ceux de ces deux pays, quelle flotte comparable à celle de l’un d’eux ? L’expérience a donc confirmé déjà ce que proposaient l’équité et la raison.

Il existe malheureusement, en France, un préjugé très enraciné contre les enrôlements volontaires. Ils rempliraient l’armée, croit-on, de gens sans aveu, sans honneur, sans conduite. On n’y verrait plus, selon l’opinion commune, que des mercenaires qui n’aimeraient point leur drapeau, qui ne respecteraient point leurs chefs. Machiavel pouvait parler ainsi, lui qui vivait au milieu des condottieri qu’employaient les princes d’Italie. Ce n’étaient pas seulement des volontaires, c’étaient encore des étrangers ; et comment se les procurait-on ? Mirabeau pouvait encore avoir une telle pensée à l’aspect des contingents que fournissaient, en s’adressant à toutes les ignorances, en flattant tous les vices, en stimulant toutes les ignominies, les officiers recruteurs de l’ancienne monarchie. L’enrôlement n’était alors qu’une traite où l’infamie remplaçait la violence ; qu’une prostitution légale, où le sentiment militaire faisait place à la plus vile bassesse. Mais ce n’est plus de cela qu’il s’agit, et je viens de citer l’exemple de l’Angleterre et des États-Unis.

Pour montrer la difficulté de la discipline au sein des armées volontaires, on rappelle, il est vrai, la peine du fouet inscrite encore dans le Code militaire de l’Angleterre. Mais cette peine ne s’applique en Angleterre qu’aux cas les plus exceptionnels ; ce n’y est réellement qu’une menace, et si l’on ne frappe plus un soldat parmi nous, ne l’envoie-t-on pas aux galères pour une impolitesse envers son supérieur ? Demandez d’ailleurs aux généraux anglais si les troupes qu’ils commandent ne sont pas admirables de discipline et de résolution. Cependant, il le faut reconnaître, les engagements ne se font pas avec toutes les garanties désirables dans la Grande-Bretagne[17].

On se trompe aussi lorsqu’on juge les enrôlés par nos remplaçants, que des industriels, ne rappelant que trop les anciens recruteurs, louent à prix d’argent et cherchent de préférence parmi les désœuvrés et les libertins[18]. Repousser enfin les volontaires de l’armée, n’est-ce pas avouer que la profession des armes n’est que le pis-aller de la paresse et de la débauche, ou que c’est une folie que ne saurait faire tout homme de sens ?

À la vérité, le recrutement volontaire oblige à faire des armes une carrière où le soldat jouisse d’un certain bien-être, et se voie assuré d’un certain avenir. Mais de quelle exigence se montre-t-on sans cela ? Or, resserrez dans de convenables limites les cadres de l’armée, chose très facile, surtout en augmentant la durée du service militaire, et vous serez très aisément à même de faire aux soldats un sort assez heureux pour pouvoir choisir entre ceux qui se présenteront. Malgré ce que je viens de dire des remplaçants, il convient de remarquer qu’ils composent déjà plus du quart de nos troupes[19].

Un corps entier se recrute même depuis longtemps parmi nous par enrôlements volontaires, et grâce à la position qu’il occupe, à la condition qu’il procure, les demandes abondent pour y entrer. Et ce corps, c’est le meilleur, le plus discipliné, le plus brave de notre armée : c’est la gendarmerie. Comment croire, au reste, que la seule chose juste ne soit pas praticable ? Quand tout est harmonie autour de nous, comment n’y aurait-il, pour ce qui nous concerne, que désaccord et lutte ? Ce serait se faire une singulière idée de l’ordre du monde, des destinées de l’humanité, que de le penser. Omnia concordia, disait un vieux concile.

III.

Si l’on ne peut approuver la conscription, que dire de l’inscription maritime? Au siècle dernier, Mathieu Decker s’indignait à la pensée qu’un « navigateur né libre, du Royaume-Uni, pût être traité comme un esclave turc[20]» ; mais en quoi le pilote de France est-il aujourd’hui plus indépendant? Pêcheur des côtes, ou matelot de navire marchand, il appartient à l’État ; il lui doit son service, et presque jusqu’à sa mort il reste à sa disposition. Pour l’armée de terre au moins, un bon numéro peut échoir, on peut se faire remplacer, et l’on est libéré après un certain nombre d’années ; tandis que rien de cela n’a lieu pour la flotte. Aussi, durant la Révolution et sous la Restauration, avait-on essayé d’appliquer à la marine la conscription militaire ; mais aux deux fois il a fallu y renoncer[21]. La vie de mer, ses dangers, ses émotions, ses nécessités, ses travaux, sont étrangers aux champs et aux ateliers. Un régiment d’ennuyés, de maladroits ou de peureux, peut encore s’utiliser sur terre ; mais que faire de telles gens au sein des flots, sous un ciel menaçant, parmi les écueils, quand le combat s’engage, et que rien ne peut se ressentir de l’enivrement des marches, des mêlées, des mouvements d’ensemble ? La flotte ne se recrutera jamais convenablement loin des côtes ; c’est incontestable. Seulement, ce n’est pas une raison pour distraire ces régions du droit commun, pour leur refuser le principe de l’égalité civile. Or, en laissant la marine se recruter, elle aussi, par enrôlements volontaires, le droit et l’intérêt seraient également conciliés : l’État pourrait ne recevoir que des matelots, de même que ceux-ci, en se présentant, céderaient uniquement à leur volonté. Une commission nommée l’année dernière par le gouvernement anglais, pour indiquer les réformes à apporter à la marine, a reconnu que nul autre mode de recrutement ne se pouvait discuter, et, comme pour les troupes de terre, c’est le seul maintenant pratiqué pour celles de mer dans la Grande-Bretagne et aux États-Unis.

Ç’a été une grande erreur, au reste — et c’est là une parenthèse bien naturelle dans ce recueil — d’attribuer la puissance des peuples sur les mers à leur marine d’État. Je viens de le montrer, la nature même des choses oblige les marines militaires à se recruter parmi les populations déjà vouées à la mer, et la nation qui emploierait ses flottes à former ou à continuer l’instruction de ses équipages dépenserait des sommes énormes, sans savoir quels services lui en reviendraient jamais. La force maritime d’un État ne se rencontre que dans ses pêches et sa navigation commerciale ; toute l’histoire en fait foi. C’est la Grèce, Tyr et Carthage dans l’Antiquité, qui dominaient les mers alors parcourues ; au Moyen-âge, ce sont les républiques d’Italie et les villes libres d’Allemagne ; enfin, dans les temps modernes, c’est d’abord le Portugal et l’Espagne, et plus tard, la Hollande, l’Angleterre, la France et les États-Unis. C’est donc vers sa législation commerciale, que le pays qui veut à son drapeau une grande place sur les flots, doit porter ses regards. Quand des prescriptions de monopole, de privilège, s’interposent dans son trafic international, tout échoue pour développer sa puissance maritime. Là encore c’est la liberté qui porte les bienfaits, et l’arbitraire qui cause la ruine.

La France que terminent trois longues plages, où se relient tous les points de son territoire par cinq fleuves magnifiques ; qui forme la tête du continent vers deux parties du monde ; dont l’aspect faisait croire Strabon à la Providence, et à qui, disait Richelieu, il semble que la nature ait voulu offrir l’empire de la mer par l’avantageuse situation de ses côtes également pourvues d’excellents ports[22], voit chaque année déchoir son importance maritime. L’Angleterre et les États-Unis, au contraire, ne cessent d’accroître la leur. C’est que nous imposons à nos échanges des lois oppressives, tandis que l’Amérique du Nord et surtout la Grande-Bretagne les affranchissent de plus en plus.

De même que c’est au commerce d’assurer à l’État son importance maritime, c’est à lui seul aussi de créer des débouchés. Lorsqu’on s’est imaginé les étendre ou les conserver par une imposante marine militaire, on ne comprenait pas mieux encore le négoce qu’on ne savait l’histoire. Une seule chose commande les débouchés : c’est le bon marché. Considérez de nouveau les États-Unis : leurs commerçants parcourent en tous sens l’Océan, abordent à toutes les côtes, trafiquent avec tous les peuples, et ils ne possèdent que six vaisseaux de ligne, ainsi qu’ils n’ont que dix mille hommes pour toute leur armée de terre. Cependant, il y faut penser, l’usage de la mer, par les connaissances qu’il exige et procure, par les facilités qu’il donne, par les stimulants et l’esprit qu’il répand, a toujours fourni aux nations qui s’y sont façonnées, la première place en richesse, en puissance, en civilisation.

Les Américains du Nord et les Anglais comprennent si bien maintenant que la force navale de l’État dépend des particuliers, qu’ils se reposent sur eux jusque pour fournir des bâtiments de guerre au moment du danger. Les gouvernements de ces deux peuples, en effet, ont chargé dernièrement des entreprises de navires à vapeur du transport des dépêches, en stipulant que leurs navires devraient pouvoir s’adapter au service militaire, moyennant un simple changement d’installation[23], et qu’ils pourraient être réclamés en cas de guerre, pour un prix convenu d’avance.

Et là encore se trouve un grand enseignement politique et économique : c’est qu’à mesure que la civilisation avance, les fonctions des gouvernements se restreignent. Elles se retirent, pour ainsi parler, du sein des populations, en leur laissant à elles-mêmes à pourvoir à leurs besoins, à régler leur conduite, à assurer leur sécurité. Ils ne s’annulent pas, mais ils se circonscrivent. Au lieu d’arrêter ou d’asservir l’action sociale, ils cherchent à la seconder et à s’en garantir. À tous les points de l’horizon, à chaque progrès de la civilisation, la liberté se répand ainsi et se fortifie. — Quand donc nous aussi, comprenant quels en sont les principes et les conditions, saurons-nous jouir de son éclat et conserver ses bienfaits ?

Une des questions les plus agitées à l’égard de l’armée, pour la considérer de nouveau dans son ensemble, c’est celle de savoir si elle doit ou non être soumise à l’obéissance passive. Question singulière ; car elle revient à demander si l’armée doit être l’armée. Chose non moins étrange, c’est au nom des principes libéraux, des franchises nationales, qu’on repousse cette exigence. Cependant, que l’armée cesse d’être une force passive, et qu’y aura-t-il de possible en dehors de la tyrannie militaire ? Sur quoi donc compterez-vous pendant ses discussions, et qu’aurez-vous à lui opposer quand elle aura décidé ? C’est alors surtout que les craintes que font naître la permanence et la forte organisation des armées seraient fondées. Les soldats qui chassaient Alexandre Sévère et sacraient empereur Maximin, les janissaires à Constantinople, les Mameloucks au Caire, voilà l’armée qui délibère.

Qu’est-ce donc, encore une fois, et que doit être l’armée ? Je le répète, c’est la force destinée à prévenir les crimes ou à faire exécuter les arrêts de la justice dans l’intérieur, et à maintenir contre l’étranger l’indépendance, l’autonomie de l’État. C’est une force ; c’est un instrument. Or, n’est-il pas de la nature d’une force d’obéir à l’impulsion qui lui est donnée ? Et si, avant de prévenir les crimes ou d’en poursuivre la répression ainsi qu’avant de défendre les frontières, dès que l’ordre lui en est transmis, l’armée discutait, cherchait les motifs de cet ordre ou voulait en apprécier les suites, quelle sécurité existerait ? De même, si l’armée prise en masse n’était plus soumise à l’obéissance passive, comment chaque corps, chaque régiment, chaque soldat pris isolément le serait-il ? À quelles conséquences on s’expose ainsi, et quelle imprévoyance de créer un aussi effroyable désordre !

« Lorsqu’il ne s’agit plus des étrangers, mais des citoyens, dit Benjamin Constant[24], l’absence du raisonnement prend un tout autre caractère. Il y a de certaines armes dont le droit des gens interdit l’usage, même aux nations qui se font la guerre ; ce que ces armes prohibées sont entre ces peuples, la force militaire doit l’être entre les gouvernants et les gouvernés : un moyen qui peut asservir toute une nation est trop dangereux pour être employé contre les crimes des individus. » Je le redis de nouveau, avec une armée qui discute, il n’y a de possible que la tyrannie militaire, et, à supposer que les délibérations des troupes fussent désirables dans les garnisons intérieures, comment les faire cesser dès qu’elles se rapprocheraient des frontières ? Une pareille habitude ne se perd pas en quelques étapes. L’Assemblée constituante s’était laissée aller à ces fausses idées, à ces funestes principes, et la France a bientôt appris, par ses troubles et ses revers, où ils conduisaient.

Ce sera toujours aux législateurs de décider ; ce sera toujours à l’armée d’obéir. À chacun ses fonctions, à chaque chose sa place. Et si vous ne vous fiez qu’à la désobéissance des soldats pour garantir vos lois, désespérez de vous-mêmes. Ce n’est pas dans les camps que le droit dépose ses germes.

IV.

Je veux à tous égards, on le voit, une armée forte, disciplinée, constituée sur les bases les plus solides ; mais je la veux ainsi surtout pour qu’elle se puisse restreindre dans d’étroites limites.Dès qu’une chose est nécessaire, il la faut dans toutes les conditions de la force et de la durée ; mais il la faut aussi dans les conditions d’une sage économie, d’une juste prévoyance. La France dépense environ un million par jour pour sa seule armée de terre. Nos deux budgets de la guerre et de la marine s’élèvent presque encore à la somme qu’ils atteignaient de 1802 à 1811, lorsque nous avions à lutter contre tous les gouvernements, et que nous étendions notre domination sur l’Italie, l’Espagne, la Hollande et l’Allemagne[25]. Quant à l’Europe entière, elle consacre annuellement deux milliards à l’entretien de ses troupes de terre. Quelles effroyables pertes ! Quelles causes de souffrances ! Supposez, au contraire, ces sommes, ou une notable partie de ces sommes laissée à l’agriculture, à l’industrie, au commerce, employée aux routes, aux institutions de crédit, aux écoles, et quelle nouvelle ère s’ouvrirait pour les peuples, quels progrès se réaliseraient, quel bien-être se répandrait ! Par malheur, ce n’est pas de telles révolutions que s’éprend d’ordinaire l’enthousiasme populaire. « Je crois, disait un jour Robert Peel au Parlement anglais, que la race humaine ne pourrait être dotée d’un plus grand bienfait que ne le serait le consentement de toutes les puissances à maintenir leur position relative les unes vis-à-vis des autres, en réduisant leurs forces respectives. » À la fois, c’est avec de nombreuses armées surtout que se répandent l’esprit des camps, les mœurs militaires, les désirs de conquêtes, si fâcheux chez les peuples policés, si funestes chez les peuples libres. C’est avec elles pareillement que se tentent le plus aisément les entreprises que suscite l’ambition et que l’oppression termine. « Il faut que la puissance de l’État ait pour base une armée permanente où les grades soient accessibles à tous, et qui répande l’esprit militaire dans les classes non nobles de la nation », disait Richelieu à l’Assemblée des notables de 1629 ; je doute qu’un aussi grand génie émit cette dernière pensée s’il vivait à notre époque.

L’armée, au reste, quoique toujours nécessaire, n’a plus l’importance, le rang qu’elle avait autrefois. Il n’est aucun État qui, pour s’être trop fié à ses forces militaires, n’ait perdu son ancienne splendeur. Qu’est devenue la Porte-Ottomane, jadis si puissante et si respectée ? Dans nos siècles industriels, c’est le travail, avant tout, qui élève les nations, et l’on commence dès maintenant à apercevoir qu’une notable force se retire aussi de leurs institutions. Comparez, par exemple, deux pays à peu près semblables de population, d’étendue, de ressources, mais dont l’un vit dans l’oisiveté et sous le despotisme, tandis que l’autre passe ses jours au sein du travail et d’une sage liberté, et vous vous convaincrez facilement des avantages du second sur le premier. Pourquoi sous un ciel si contraire, perdu dans l’Océan, ce rocher que la nature a fait si pauvre et si restreint, est-il devenu le premier État de l’univers, voit-il ses habitants honorés partout, son drapeau salué de tous les autres ? Pourquoi l’Angleterre s’est-elle élevée à une telle hauteur, partant d’une telle infériorité ? Pourquoi, si ce n’est grâce à son industrie et à ses institutions ? Il est triste, quand on écrit dans notre langue et qu’on se souvient de notre passé, de reconnaître une supériorité si marquée à l’encontre d’une chute si soudaine ; mais il serait plus triste encore de nier la vérité, de mentir[26].

L’activité des peuples, qui autrefois s’employait presque uniquement à la guerre, se tourne maintenant vers la production de la richesse et vers les recherches de l’esprit. Or, chaque progrès industriel, de même que chaque nouvel examen du droit, de l’histoire, de la science, est une garantie, une chance de plus pour la paix.

Il est à remarquer cependant combien les pensées, les désirs de la paix sont peu partagés ou avoués encore. Les hommes politiques imaginent généralement que les guerres, ces jeux sanglants de la force et de la ruse, sont propres à relever l’esprit des populations, à redonner à leurs sentiments de la vigueur et de la noblesse. L’un des amis les plus sincères des libertés publiques et l’un des plus grands esprits de notre siècle écrivait lui-même, dans son dernier ouvrage : « Ce qui convient à la complexion d’une société libre, c’est un état de paix modéré par la guerre, et un état de guerre attrempé de paix. Les Américains ont déjà porté trop longtemps de suite la couronne d’olivier : l’arbre qui la fournit n’est pas naturel à leur rive[27]. » À quelles idées fait-on appel pourtant durant la guerre, si ce n’est aux plus égoïstes ? À quels sentiments, si ce n’est aux plus grossiers, aux plus brutaux ? Soldats, il plaît à vos maîtres de vous précipiter les uns contre les autres ; pillez-vous, ruinez-vous, tuez-vous ! voilà la guerre. Que les villes s’écroulent, que les moissons se brûlent, que les hommes s’enchaînent ou se massacrent, que les femmes se déshonorent ! tout est permis, et les actions ne s’apprécient plus à leur moralité, mais à leurs résultats. Le succès est tout. C’est l’esprit d’envie, de destruction et de rage qui seul mène alors les nations. Quels souvenirs, pour ne parler que des plus récents, que ceux de Saragosse et de Saint-Jean-d’Acre, de la retraite de Moscou et des suites de Waterloo !

Tout ensemble, tant que dure la guerre, le gouvernement est maître absolu des libertés publiques. Il n’a, pour cela, qu’à invoquer la nécessité, de même qu’il lui suffit ensuite, pour garder ses pouvoirs, de s’appuyer sur des troupes victorieuses. On rapporte qu’avant de mettre au champ leur armée, les Florentins prévenaient l’ennemi par le son de leur plus grosse cloche. Si c’était le signal du combat pour l’ennemi, certes, c’était plus encore le glas de la liberté pour les citoyens. Louis XV, montrant à son fils la plaine de Fontenoy baignée de sang, couverte de cadavres, lui disait : « Mon fils, voilà ce que coûte une victoire[28]. »Que pourrait dire la France à l’aspect de tous les champs de bataille où l’ont conduite Louis XIV, la République et Napoléon ? Elle y a laissé bien plus que ses richesses et ses enfants, elle y a laissé sa suprématie, sa dignité, ses droits. Dans notre ardeur guerrière, rappelons-nous sans cesse ces paroles de Montesquieu, quelque exagération qui s’y trouve : «La France se perdra par les gens de guerre[29]. »

Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que les idées belliqueuses, les passions militaires ont surtout été partagées et entretenues par les partisans des opinions libérales, ceux mêmes souvent qui demandaient d’affaiblir ou de détruire les armées. En France, par exemple, pendant nos années de gouvernement parlementaire, les amis les plus ardents des franchises publiques ne cessaient de dénoncer comme lâches ou criminels les désirs et les efforts pacifiques des gouvernants. Lorsqu’un des plus grands ministres de cette époque s’écriait avec toute la force de l’honnêteté, tout l’amour de la liberté, tout l’honneur de la sagesse : la paix partout ! la paix toujours ! il n’y avait au sein du parti libéral, ni dans les Chambres, ni dans la presse, assez d’injures contre lui, assez d’outrages contre ses paroles. Qu’il serait cependant difficile d’oublier les derniers temps de notre monarchie constitutionnelle ! Du nord au sud, de l’est à l’ouest, des franchises s’accordaient dans l’Europe entière ; tous les peuples s’élançaient vers la liberté, et les gouvernements, soit qu’ils sentissent l’impossibilité de résister à un pareil courant, soit qu’ils cédassent eux-mêmes, s’empressaient à le favoriser. Quelques mois encore, et la Russie et la Turquie auraient été les seuls domaines du despotisme sur le continent européen. Or, d’où cela provenait-il ? Avant tout, assurément, des trente années de paix qui venaient de s’écouler. Rien de semblable aurait-il eu lieu, en effet, si la guerre, qui remet tous les pouvoirs aux mains des gouvernants, qui arrête chez les peuples tout essor de pensée, qui règle la vie des États seulement sur la vie des camps, eût agité le monde depuis l’Empire ? Pour entraver à la fois ce courant libéral, où se mêlaient dans une commune ardeur des nations si diverses, qu’a-t-il fallu ? Ce qui ressemble le plus aux guerres : des révolutions.

Faut-il une nouvelle preuve de cette opinion ? Nous étions persuadés, à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci, que nos armes portaient des franchises aux autres peuples : quel peuple cependant est sorti plus libre des luttes sanglantes de cette époque ? Quel despotisme, au contraire, ne s’y est consolidé ? La liberté, Dieu merci, n’est pas un écriteau qu’on promène au bout des baïonnettes. Malgré les paroles de l’homme de génie que je citais il y a un instant, les plus grands dangers qu’il soit permis de prévoir pour les États-Unis viendront de l’esprit de conquête qui s’en est emparé, au mépris des sages et nobles conseils de Washington. Les provinces de Hollande et de Zélande mettaient comme condition à leur soumission à la royauté espagnole, la destruction des citadelles, qu’elles appelaient des nids de tyrans.

La liberté veut l’ordre au sein de la paix, et l’ordre amène la liberté. Mais ce serait une nouvelle erreur de confondre l’ordre avec l’asservissement qu’entraîne le régime militaire. « Bonaparte, dit Chateaubriand, avait voulu que les hommes de la Révolution ne parussent à la cour qu’en habit habillé, l’épée au côté. On ne voyait pas la France du moment ; ce n’était pas de l’ordre, c’était de la discipline[30]. » C’est une remarque qu’on pourrait appliquer à bien d’autres sujets qu’aux costumes de cour.

Prétendre qu’il ne faille pas d’armée, c’est folie, disions-nous en commençant ce travail, et nous le terminons en répétant que l’armée ne doit plus être constituée en vue des conquêtes, et qu’elle doit restreindre ses cadres, en raison même de la force de son organisation. Qu’elle se trouve ensuite parmi des populations libres et dignes de l’être, et elle ne présentera certainement aucun danger.Qui s’inquiéterait, en Angleterre, des régiments qu’il rencontre ? La civilisation ancienne avait trois fondements : le paganisme, l’esclavage et la guerre ; ceux de la civilisation moderne sont : le christianisme, le travail et la liberté. C’est dire encore que les armées ne doivent plus exagérer leur nombre, ni s’employerà changer les limites des États. Le travail ne se développe, la liberté ne se maintient qu’avec la paix, que veut également le christianisme[31].

Gustave DU PUYNODE.

________________

[1] Cet article de notre collaborateur, M. Du Puynode, ne trouve sa place ici que parce qu’il a principalement traité la question au point de vue économique. Conformément à notre habitude, surtout en ce qui s’écarte de l’économie politique proprement dite, nous n’entendons, par cette insertion, ni approuver ni désapprouver les diverses appréciations historiques, philosophiques, politiques et morales qui se sont rattachées à son sujet sous sa plume. (Note du rédacteur en chef.)

[2] Heeren, Politique et commerce des peuples de l’antiquité, t. II, sect. 1, chap. II.

[3] Esprit des lois, liv. XI, chap. VI.

[4] Rossi s’est très nettement expliqué sur ce point dans son Cours de droit constitutionnel. Voyez l’analyse de ce cours, publiée dans le journal le Droit.

J.-B. Say (Cours d’économie politique, t. II, chap. XX) condamne le système des armées permanentes, mais reconnaît que les corps du génie, de l’artillerie et de la cavalerie, ne pouvant être formés au moment du besoin, doivent faire exception et demeurer à l’état permanent. C’est une exception qui est bien près d’entraîner la règle.

[5] Il se trouve dans un ouvrage qui a eu beaucoup de retentissement lors de sa publication, la France en Afrique, une très remarquable appréciation de l’esprit militaire.

[6] Esprit des lois, liv. XI, chap. VI.

[7] Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle, t. I, chap. VI.

[8] Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle, t. I, chap. VI.

[9] La durée du service, en Prusse, est fixée à cinq ans ; mais les soldats n’y restent que trois ans sous les drapeaux ; ils passent les deux derniers dans la réserve.

[10] Le principal orateur du parti libéral disait à la Chambre des députés, le 25 mars 1844 : « Je considère l’armée, en temps de paix, comme une grande école pour former des citoyens… Je veux que le contingent entier passe chaque année sous les drapeaux… Il ne faut pas que le service dure huit ans (ce que demandait le gouvernement), mais trois, quatre ou cinq ans, » Il serait difficile d’émettre plus d’erreurs dans si peu de paroles.

[11] Le service militaire n’est cependant, en Russie, que de vingt, vingt-deux et vingt-cinq ans, selon les corps ; mais il y est excessivement dur ; peu de soldats reviennent de l’armée. D’autre part, les soldats sont des serfs, des fils de soldats (car tout enfant mâle d’un soldat ou d’une veuve de soldat appartient à l’armée dès sa naissance), ou des condamnés.

[12] En Russie, l’organisation toute communiste de la propriété, et l’exemption du service militaire accordée au père de trois enfants, sont aussi des stimulants aux mariages prématurés et à la multiplicité des enfants.

[13] Avant la loi du 22 juin 1847.

[14] Les principes de la conscription, d’après les idées nouvelles, ont été posés, en France, par la loi du 6 décembre 1790 et la Constitution de 1791.

[15] En Prusse, le tirage à la conscription se fait à vingt ans.

[16] Opinions de Napoléon, par M. Pelet (de la Lozère), p. 229.

[17] En Angleterre, on n’exige de l’engagé aucun certificat garantissant sa moralité. Souvent on y enrôle des condamnés au moment de leur libération.

[18] On compte, en moyenne, pour d’autres délits que l’insoumission, 1 condamné par an sur 239 soldats, et 1 sur 62 remplaçants. Ces derniers forment les trois cinquièmes de nos compagnies de discipline.

[19] Les remplaçants ne formaient que le huitième de notre armée en 1806, et que le cinquième en 1826.

[20] Mathieu Decker, Essay on the causes of the decline of foreign trade, p. 24 ; 1756.

[21] Notre système d’inscription maritime a été réglé par les ordonnances de 1689, 1778, 1784, et par la loi de brumaire an IV.

[22] Testament politique.

[23] Aussi ne sont-ils employés qu’après avoir été reçus par une commission d’officiers de marine. Plusieurs de ces navires sont du port de 2 000 tonneaux.

[24] Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle, t. I, ch. VI. — Dans une autre partie de son ouvrage, Benjamin Constant demande, comme dernière garantie, que les chefs de l’armée ne soient plus à la nomination du roi, mais des ministres. Dans un État constitutionnel, les ministres sont responsables ; ils proposent les nominations et les contresignent. Si le roi veut leur imposer des choix contraires à leurs vues, ils refusent leur contre-seing et se retirent. Toutes les garanties désirables existent, et le roi reste chef de la puissance exécutive, ce qui ne peut pas ne pas être. Dans un État despotique, il n’y a rien à prescrire : toute la nation est aux caprices d’un homme.

[25] Le contingent militaire a été fixé, chez nous, à 40 000 hommes par la loi du 10 mars 1818 ; à 60 000, par la loi du 9 juin 1824, et à 80 000, par celle du 11 octobre 1830. Ce dernier chiffre a été calculé de manière à pouvoir porter l’effectif de l’armée à 500 000 hommes, distraction faite des non-valeurs.

[26] Depuis longtemps, nos dépenses militaires dépassent celles de l’Angleterre de 160 à 200 millions.

[27] Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, t. II, p. 327.

[28] M. d’Argenson écrivait à Voltaire, après la bataille de Fontenoy : « La planche de tout cela, c’est du sang humain. »

[29] Montesquieu, Pensées diverses, p. 235

[30] Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, t. IV, p. 65.

[31] En France, je voudrais une gendarmerie nombreuse, le corps des gardes champêtres fortement organisé, et des troupes de ligne, recrutées comme je l’ai dit, en beaucoup moins grand nombre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.