Nécessité de la concurrence religieuse

Yves Guyot, Nécessité de la concurrence religieuse, 1899


 

Il s’agit de grouper, dans une action commune contre l’Église romaine, tous ceux qui veulent avoir la liberté du choix et de la pratique de leurs convictions philosophiques ou religieuses, en remplaçant le régime oppressif du Concordat par la concurrence religieuse.

I

Comment les institutions libérales peuvent-elles s’adapter à un peuple catholique ? Voilà le redoutable problème qui se pose en France comme en Espagne, en Italie, en Autriche, en Belgique. Et nous devons reconnaître qu’aucune de ces nations n’est parvenue à le résoudre.

Un « catholique libéral » ! Deux mots qui hurlent de se trouver ensemble. Le catholique ne peut comprendre la liberté, puisque chacun des actes de sa vie est une aliénation de sa liberté à un autre homme. Au lieu de se décider par lui-même, il doit remettre la direction de sa conduite à un confesseur qui remet la sienne à un supérieur qui doit une obéissance passive au pape. « L’hérétique est un homme qui a une opinion », dit Bossuet. Quiconque pense, étant l’ennemi, doit être supprimé.

La grandeur de Luther vient de ce qu’il proclama l’individualisme de la foi. Il autorisa l’homme à croire par lui-même et, en lui remettant la direction de sa foi, il lui fit assumer la responsabilité de ses actes.

Dans les nations catholiques, l’autorité se trouve placée en dehors du pays. Le clergé se considère comme une nation dans la nation. S’il subit le gouvernement laïque, il ne relève que du Vatican. Si le Syllabus lui enseigne une doctrine contraire au Code civil, il doit la suivre.

II

L’Assemblée nationale de 1789 sécularisa les actes de l’état civil et le mariage, proclama la liberté de conscience, détruisit le clergé en tant qu’ordre. La séparation des Églises et de l’État était la conséquence logique de cette laïcisation de la société, de la législation, de l’administration, du gouvernement ; mais l’Assemblée nationale commit la faute de s’inspirer de la doctrine du prêtre fonctionnaire et d’essayer d’engrener l’Église dans la Révolution par la constitution civile du clergé.

La moitié des 120 000 prêtres existants alors sortirent de la France ou y restèrent à l’état insurrectionnel. Par le décret du 18 septembre 1794, la Convention donna la solution dans ce décret malheureusement trop tardif : « La République française ne paie plus les frais d’aucune culte. » Il fut complété par le décret du 3 ventôse an III, et l’article 354 de la Constitution de l’an III (17 août 1795) portait que : « Nul ne peut être empêché d’exercer, en se conformant aux lois, le culte qu’il a choisi. Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun. »

Qu’on lise les rapports officiels adressés au gouvernement consulaire à la fin de l’an IX, reproduits dans l’ouvrage de M. Félix Rocquain : l’État de la France au 18 brumaire, on y verra que presque partout, on s’était déshabitué des cérémonies du culte. Mmede Staël constate que le clergé catholique ne demandait que la tolérance. Mais « il fallait au premier consul un clergé comme des chambellans, comme des titres, comme de décorations, enfin, comme toutes les anciennes cariatides du pouvoir. C’est lui qui a recomposé le clergé pour le faire servir à ses desseins. » (Consid. sur la Révolut. française, éd. 1818, t. 2, p. 372.)

Dans ses notes dictées à Las Cases, Napoléon dit que « toutes les dispositions du moment poussaient la France au protestantisme ». Cette religion indépendante ne pouvait lui convenir. Il espérait avoir la direction du pape. Et il se laissa jouer.

Quand on essaie de faire le bilan des dix-sept article du Concordat, on trouve, comme avantages pour le premier consul, l’article 6 donnant la formule du serment de fidélité, qui se termine par cet engagement de police : « Si, dans mon diocèse, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’État, je le ferai savoir au gouvernement » ; l’article 8 prescrivant la formule de la prière : Domine, salvem fac rempublicam ; domine salvos fac consules ; l’article 16 reconnaissant « dans le premier consul de la République française les mêmes droits et prérogatives dont jouissait l’ancien gouvernement ». C’était la reconnaissance du fait accompli.

En retour de ces trois articles, les quatorze autres sont exclusivement au profit du culte catholique. Le premier consul n’a qu’un droit de présentation pour la nomination aux archevêchés et évêchés. C’est au pape qu’appartient l’institution canonique des évêques et cette disposition suffit pour que, malgré les articles organiques, le pape pût tenir Napoléon en échec. Le 10 juin 1809, il va jusqu’à lancer une bulle d’excommunication contre lui. Napoléon convoque un concile dans lequel il déclara que le Concordat de 1801 n’existait plus. Ce concile prononça l’expulsion des prélats non institués et ne prêta que le serment d’obéissance au pape. Napoléon fait mettre à Vincennes les évêques de Troyes, de Tournon et de Gand, puis fait transporter le pape de Savone à Fontainebleau. Il avait voulu, selon le mot apologétique de Bignon, faire du clergé une « gendarmerie sacrée » ; et ces prétoriens en soutane étaient tous en révolte contre lui. Il avait parlé de « ses conciles », et il appelait le concile de 1813 une « convention de dévots ». Napoléon ne trouvait d’autre ressource que de faire administrer le clergé par son ministre de la police. En 1813, il tenait plus de cinq cents prêtres enfermés, sans jugement, dans des forteresses.

La Charte de 1814 déclara la religion catholique religion de l’État et, en 1817, le gouvernement de la Restauration fit un nouveau Concordat qui, tenant pour non avenu celui de 1801, rétablissait celui de Léon X et de François Ier. Il est vrai qu’il n’osa le soumettre à la ratification des Chambres. On a une tendance à croire que le clergé était satisfait de ce gouvernement qui faisait les lois sur l’observation du dimanche et sur le sacrilège. Pas du tout. Il se plaignait amèrement d’être persécuté parce que d’autres religions étaient tolérées à côté du culte catholique.

La monarchie de Louis-Philippe se vantait « de ne pas faire le signe de la croix ». Seulement elle conservait le Concordat. Cela suffit. Tous les hommes d’État passèrent par la filière catholique. Victor Cousin s’écriait, en 1844, qu’il faudrait « éteindre l’université, si elle voulait nuire à la religion ».

Les légistes du gouvernement voulaient un clergé national qui reconnût les quatre propositions de 1682. Mais, en 1845, soixante évêques adhérèrent à la doctrine ultramontaine de l’archevêque de Bonald contre le Manuel du Droit ecclésiastique de Dupin.

Les républicains de 1848 eurent la même illusion que Bonaparte et les deux gouvernements précédents. Ils aboutirent à la double expédition de Rome à l’extérieur et à l’intérieur.

Cependant, si les prêtres chantèrent avec enthousiasme le Te Deum en l’honneur du Deux-Décembre parce qu’il était le De Profundis de la République, ils ne furent pas plus acquis au neveu qu’ils n’avaient été acquis à l’oncle. La guerre d’Italie acheva de brouiller le clergé avec l’Empire.

Depuis 1870, on a trouvé la main du clergé dans tous les entreprises contre la République. Au 24 Mai, au 16 Mai, il a employé toute l’énergie dont il est capable, tous les moyens dont il dispose en faveur des partis ligués contre la République et coalisés en un seul, sous le nom de cléricalisme. Il continue. Il n’accepterait la République que s’il en était le maître. Les journaux qu’il lit, la Croix, la Libre Parole, l’Autoritéindiquent suffisamment sa mentalité. Le gouvernement paie les prêtres, les comble d’avantages, maintient l’unité et la discipline de l’Église, et est réduit devant leur hostilité, leur conspiration permanente, à une impuissance constitutionnelle. Il peut suspendre le traitement de trois cents prêtres, comme le fit M. Goblet, mais il ne peut les envoyer dans des prisons d’État, comme le faisait Napoléon. Il ne peut même pas user à leur égard des articles 204, 205, 206, 207, 208 du Code pénal dont une circulaire du garde des sceaux du 8 avril 1861 rappela inutilement l’existence. Quant à l’appel comme d’abus, l’évêque, le prêtre qui en est frappé considère que son devoir professionnel est de manquer aux articles organiques que n’a jamais reconnus le pape. Frappé, il n’est coupable ni à ses yeux ni aux yeux des siens. Il devient un martyr. C’est d’une auréole que le gratifie toute action répressive laïque dirigée contre lui. Le Concordat n’est pas plus pour la République que pour les autres régimes qui se sont succédé en France un instrumentum regni, et malgré les avances qu’ils leur ont faites, les républicains n’y ont point converti les curés de campagne.

III

Si le Concordat a enrégimenté le clergé, c’est au profit du Vatican. Il a constitué sa hiérarchie : en tête 17 archevêques, 67 évêques reçoivent leur institution du pape ; puis viennent 3 451 curé inamovibles et ensuite un prolétariat de 31 000 desservants et de 7 000 vicaires. Ceux-ci, qui ne sont pas concordataires, sont les hommes-liges des curés et des évêques. Ils n’ont aucune garantie, peuvent être déplacés, mis à la portion congrue, révoqués sans recours possible. Le Parlement pourrait demain supprimer les 30 649 000 fr. qu’ils absorbent sans toucher au Concordat.

Le Concordat a embrigadé le clergé et l’a soumis à la discipline des archevêques et des évêques. Il en a fait un tout compact et solide et l’empêche de se désagréger. Il a soustrait le haut clergé à la critique et au contrôle du clergé inférieur. Il a, enfin, soustrait le clergé tout entier à la critique et au contrôle des fidèles intéressés.

Il l’a mis au-dessus de toute controverse et de toute concurrence.

Une commune ne peut choisir son prêtre. Un jugement, en 1885, a exclu de son église le curé de Bragayrac que sa commune voulait garder en dépit de son évêque.

L’organisation de l’Église catholique par le Concordat a supprimé toute concurrence possible contre elle.

Vouloir combattre le cléricalisme et l’influence de Rome sans détruire cette organisation, c’est vouloir supprimer les effets sans détruire la cause.

Par conséquent,il n’y a qu’une solution : C’est la séparation des Églises et de l’État, l’annulation du Concordat.

IV

Je n’examine pas pour le moment les détails d’application. Le 27 mai 1886, j’ai déposé à la Chambre des députés, avec un certain nombre de mes collègues, une proposition de loi sur la séparation des cultes et de l’État par les communes. Afin que la séparation des Églises et de l’État ne soit pas une aggravation de charges pour les fidèles, les crédits affectés aux frais des cultes seraient répartis, à titre de dotation, entre les communes au prorata de la part attribuée actuellement à chacune d’elles. Les conseils municipaux en auraient la libre disposition.

Que ce soit ce système ou un autre qu’on adopte, le but à poursuivre, c’est d’établir, contre l’Église catholique actuelle, la possibilité de la concurrence religieuse.

V

Les adversaires de cette solution ne se placent qu’à un point de vue. Ils croient que le Concordat supprimé et la liberté des cultes proclamée, il ne reste en face les uns des autres que les catholiques et les libre-penseurs, et alors ils disent : — Un peuple ne peut se passer de religion et les catholiques seront plus puissants que jamais.

Libre-penseur, je reconnais que les libre-penseurs ne sont qu’une minorité. Il est indéniable que la grande majorité des hommes éprouve le besoin d’être unis par un lien religieux. Mais n’y a-t-il donc pour les nations civilisées d’autre religion que la religion catholique ? M. Hyacinthe Loyson ne vient-il pas de montrer, dans la belle étude publiée par le Siècle, la chute des nations catholiques ?

Si on compare leur situation avec celle des nations protestantes, une conclusion s’impose : la France a tout à perdre en restant catholique et tout à gagner en devenant protestante.

Le protestantisme n’a pas un syllabus étroit dans lequel chacun est obligé de passer. Il revêt toutes les formes, il s’adapte à toutes les intelligences.

À ceux qui demandent : — Que mettez-vous à la place du catholicisme ? La réponse est toute prête : — le Protestantisme !

En détruisant l’organisation actuelle du catholicisme, et en établissant contre lui la possibilité de la concurrence religieuse, nous devons proclamer nettement, sans ambages, que c’est au profit du Protestantisme et que c’est sur le Protestantisme que nous comptons pour arracher la France au catholicisme.

Si le système de la séparation des Églises et de État a effrayé tant de personnes en France, c’est que la question n’avait été posée devant l’opinion qu’entre le catholicisme et la libre-pensée.

Pourquoi, nous libre-penseurs, ne serions-nous pas les premiers à la poser autrement et à remplacer la formule de Mirabeau : « Il faut déchristianiser la France » par celle-ci : « Il faut décatholiciser la France ? » 

VI

Nous voyons ce spectacle : l’homme est libre-penseur, mais il fait apprendre le catéchisme à ses enfants : de là une contradiction démoralisante pour l’enfant qui se voit obligé de faire des actes de foi à des objets de raillerie pour son père.

Ce libre-penseur se marie à l’église, se fait enterrer à l’église ; sa femme va tout au moins à la messe, sinon à confesse ; ses filles sont souvent élevées au couvent et pratiquent. Tout est confusion et contradiction. L’homme qui ne peut faire la séparation du catholicisme et de sa famille est actuellement le plus ferme soutien de l’Église.

Mais que la religion catholique cesse d’être le culte officiel, chaque famille sera incitée à faire un choix et aura à sa disposition la forme de protestantisme la plus conforme à sa conception. Elle ne se croira plus obligée d’être catholique « pour avoir une religion ». Elle saura qu’ « elle peut avoir une autre religion » que le catholicisme.

VII

J’entends les objections :

— « Quoi ! vous allez ranimer les querelles religieuses ? »

Les ranimer ? Il me semble que nous venons de voir une formidable explosion de haines religieuses : et je me demande comment nous pourrions l’augmenter.

Mais qu’est-ce donc que cet argument ! c’est celui avec lequel on a voulu justifier toutes les mesures de proscription contre les hérétiques. Pour supprimer les querelles religieuses, la révocation de l’Édit de Nantes supprimait les protestants.

J’aime mieux les querelles religieuses que l’oppression silencieuse et mécanique du clergé catholique.

On ajoute :

« Loin d’affaiblir le clergé catholique, vous augmenterez sa puissance, en le provoquant à la lutte. »

Il nous semble qu’il n’a pas besoin d’être provoqué pour combattre tous ceux qui ne sont pas ses hommes-liges. Et c’est une singulière manière d’affaiblir son énergie que de maintenir à son profit l’organisation et la dotation qui résultent du Concordat.

Les campagnes de Drumont et de Thiébaud prouvent qu’il a un appétit insatiable d’oppression et de persécution.

On dit encore : — « Le clergé libre sera plus puissant, mieux doté, qu’aujourd’hui. »

Pourquoi donc ? Sur un budget des cultes de 43 millions, les crédits affectés au culte catholique comprennent 41 millions. Le clergé recevra des donations, des souscriptions. Mais il en reçoit aujourd’hui qui viennent s’ajouter à ces millions. La constitution d’une pareille dotation annuelle n’est pas d’une réalisation facile.

La différence est grande entre un corps hiérarchisé, faisant partie de l’organisme de l’État, et un corps qui ne devra plus vivre que par lui-même, n’avoir d’autre influence que celle qu’il saura acquérir ou conserver par ses propres efforts. Le prêtre a aujourd’hui tous les avantages du fonctionnaire : et cependant, dès 1878, M. l’abbé Bougaud, grand vicaire de l’évêché d’Orléans, dans un livre intitulé : le Grand péril de l’Église de France, montrait l’impossibilité pour le clergé catholique de se recruter. De plus, beaucoup de jeunes gens qui se faisaient prêtres jadis deviennent instituteurs aujourd’hui. Si les évêques s’imaginaient que la séparation des Églises et de l’État rendra l’Église plus puissante demain qu’elle ne l’est actuellement, ils ne la combattraient pas.

On répète : « La France n’est pas devenue protestante au XVIesiècle : il est trop tard pour qu’elle le devienne. »

Pourquoi ? Si elle n’est pas devenue protestante, c’est que le protestantisme a eu de formidables résistances à vaincre. Henri IV, en disant : « Paris vaut bien une messe », a sacrifié l’avenir à la morale du succès immédiat. Les protestants ont été exterminés, traqués jusqu’à la Révolution. Le Concordat a rétabli la domination du catholicisme. Les protestants ont eu toutes sortes de luttes à soutenir. Cependant ils ne sont pas affaiblis en France. Et c’est parmi eux qu’on a trouvé les plus intrépides combattants contre le Deux-Décembre et pour la République.

Le catholicisme, avec ses pratiques, ses miracles de Lourdes, son culte du Sacré-Cœur, ne peut plus avoir de prise sur les personnes qui sont imprégnées de l’esprit scientifique ambiant et qui ont besoin d’une religion. Le protestantisme leur est ouvert sans leur demander de sacrifices à l’absurde.

VIII

À ceux qui déclarent à la fois que le cléricalisme est l’ennemi et qui veulent maintenir l’état de choses actuel, je pose la question suivante :

— Conjurez-vous le péril du cléricalisme en vous bornant à répéter qu’il est l’ennemi ?

— Non.

— Alors quelle mesures comptez-vous prendre contre lui ? Appliquer rigoureusement les articles organiques au clergé ? Appliquer les articles du Code pénal 204 à 208 aux prêtres qui critiqueront le gouvernement ? Multiplier les appels comme d’abus ? Mais vous serez obligés de vous arrêter à la porte du confessionnal. Expulser les jésuites ? Soit. Placer les congrégations sous un régime qui les empêche de continuer à se constituer en sociétés secrètes ? C’est ce que nous demandons. Mais toutes ces mesures ne sont que des palliatifs. Si nous voulons arracher la France à l’influence dépressive du catholicisme, il faut détruire l’organisation faite à son profit le 26 messidor an IX. Il faut remplacer l’oppression catholique résultant du Concordat par la concurrence religieuse.

YVES GUYOT

 


LA SÉPARATION DES ÉGLISE ET DE L’ÉTAT PAR LES COMMUNES

On nous a demandé de reproduire la proposition de loi déposée par M. Yves Guyot et trente-sept de ses collègues, le 27 mai 1886, sur la Séparation facultative des cultes et de l’État.

Nous donnons la conclusion de l’exposé des motifs et le dispositif de la proposition de loi.

Ce système consiste à remettre aux communes les crédits affectés aux cultes, au prorata des crédits qui sont affectés actuellement aux cultes exercés sur le territoire de chacune d’elles.

CONCLUSION

Ce système présente un double avantage :

Une prime collective, donnée à la commune ;

Une prime individuelle, donnée à chaque contribuable.

Les centimes additionnels que les communes ont dû s’imposer pour l’instruction sont repris à l’Église, et c’est justice !

Le droit du libre-penseur est sauvegardé ; il ne contribue au budget des cultes que s’il le veut.

Le principe que nul ne doit contribuer aux frais du culte qu’il ne pratique pas reçoit sa pleine sanction.

D’un autre côté, la séparation de l’Église et de l’État se fait sans violence, sans coercition. Les paysans, les fidèles ne peuvent pas dire qu’elle est, pour eux, un accroissement de charges ; elle se présente, au contraire, sous la forme d’un dégrèvement.

Le progrès, au lieu d’être d’une uniformité inflexible, se proportionne aux milieux. Il n’invoque pas la contrainte, il provoque l’assentiment.

C’est la vraie politique scientifique substituée à la politique empirique, de passion, d’intolérance, de contrainte, de timidité dépressive ou d’audace irréfléchie qui nous a valu tant de crises et si peu de solutions.

C’est la conciliation de la politique de principes avec les nécessités du milieu sur lequel elle doit agir.

Au lieu de se présenter avec dogmatisme, de vouloir s’imposer sans tenir compte des résistances, de plagier l’esprit prêtre dans son absolutisme, ce système représente la tolérance, la liberté : il ne demande rien à la force, mais tout à l’exemple et à la persuasion. Et qu’est-ce que la politique dans un gouvernement de discussion ? sinon l’art de faire accepter demain, par les récalcitrants de la veille, la solution conforme à la vérité et à la justice.

La séparation des Églises et de l’État est posée d’une manière trop nette dans l’opinion publique, elle est trop liée au plan général de notre évolution sociale pour que le Parlement puisse se dérober à cette nécessité. Ajourner les questions, c’est les laisser s’accumuler, se grossir les unes par les autres, s’irriter à leurs contact réciproque ; c’est avouer son impuissance, c’est provoquer des déceptions chez ceux qui réclament les réformes promises sans se concilier ceux qui les repoussent. Aux impatients qui nous disent : ce sera bien long ! nous répondrons que rien ne vaut, pour assurer la réalisation rapide d’une réforme, comme un commencement d’exécution ; et, selon nous, s’il est utile d’agiter les questions, ce n’est qu’à la condition d’avoir la volonté de les faire aboutir.

PROPOSITION DE LOI

ARTICLE PREMIER. — La direction des cultes est supprimée. En conséquence, il ne sera plus inscrit au budget de crédit pour le personnel, le matériel et les impressions des bureaux des cultes.

Art. 2. — Les crédit affectés aux traitements des curés, aux allocations aux desservants et vicaires, au personnel des cultes protestant, israélite et musulman, aux dépenses des séminairesprotestants et israélites, aux frais d’administration de l’Église de la confession d’Augsbourg, sont répartis entre les communes au prorata de la part attribuée à chacune d’elles pour l’exercice X.

Les crédits affectés aux traitements des archevêques et évêques, aux allocations aux vicaires généraux et aux chanoines, aux mobiliers des archevêchés et évêchés, aux loyers pour évêchés, séminaires, seront répartis entre les communes de chaque circonscription diocésaine.

Art. 3. — Ces crédit constitueront une dotation perpétuelle pour les communes.

Art. 4. — Les crédits affectés aux églises classées comme monuments historiques seront reportés au service des beaux-arts.

Les crédits affectés aux édifices religieux non classés comme monuments historiques (secours pour les églises et presbytères, secours pour les édifices des cultes protestant, israélite, dépenses du matériel du culte musulman) seront remis aux communes sur le territoire desquelles ces édifices sont situés.

Art. 5. — La somme représentant le total des crédits remis aux communes, en vertu de l’article 2, sera prélevée sur le produit des contributions directes. La répartition entre les contribuables devra être faite au prorata des contributions directes payées par chacun d’eux. Sur l’avertissement pour l’acquit des contributions directes, aux indications actuelles ainsi conçues : « Dans le montant des cotes ci-contre, il revient, savoir : à l’État, au département, à la commune », il sera ajouté : « Aux cultes. »

Art. 6. — Dans les trois mois de la publication des rôles, chaque contribuable pourra déclarer qu’il entend être dégrevé de la part des centimes communaux équivalent à sa part contributive pour le service des cultes.

Cette déclaration, faite par écrit, sera remise au maire, qui la transmettra au sous-préfet. Le préfet communiquera les déclarations au directeur des contributions directes. La déclaration sera exempte du droit du timbre. Elle sera valable jusqu’à manifestation d’intention contraire.

Art. 7. — Le Conseil municipal pourra réduire ou supprimer en totalité les subventions accordées au cultes et les traitements alloués aux ministres ou représentants des cultes.

Il pourra employer la subvention de l’État correspondante à tel usage qu’il lui conviendra.

Art. 8. — Lorsque la moitié plus un des contribuables aura refusé de contribuer aux frais des cultes, la totalité de la subvention de l’État servira de plein droit au dégrèvement des centimes additionnels communaux.

Art. 9. — La réduction ou la suppression des subventions et des traitements, même au cours de l’année, ne pourra donner lieu à aucune réclamation de la part des ministres ou représentants des cultes, nonobstant toute clause contraire insérée dans les traités ou conventions passés par eux avec les communes.

Art. 10. — Les associations religieuses sont assimilées aux syndicats professionnels et soumises aux dispositions de la loi du 21 mars 1884.

Art. 11. — Les ministres qui renonceront à l’exercice du culte dans un délai de trois ans à partir de la promulgation de la présente loi recevront de l’État un secours temporaire s’ils sont âgés de moins de soixante ans, viager s’ils ont dépassé cet âge.

Art. 12. — Les Conseils municipaux peuvent changer l’affectation des édifices consacrés au culte, qui appartiennent aux communes.

Les églises cathédrales et métropolitaines situées dans les communes qui auraient cessé de subventionner les cultes, cesseront de plein droit d’être affectées au culte.

Art. 13. — La convention du 20 messidor an IV, dite le Concordat de 1801, est dénoncée. Toutes les lois antérieures contraires au dispositions de la présente loi, et spécialement la loi du 18 germinal an X, dites articles organiques, sont abrogées.

 

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Telle est cette proposition de loi. Nous ne la présentons pas comme un dogme absolu. Nous la présentons comme une base de discussion.

En voici les avantages :

Elle donne une prime aux communes pour la diminution du budget des cultes, et cette prime est en France, Algérie non comprise, de 41 millions en ce qui concerne l’Église catholique, tandis que 1 539 000 francs seulement sont affectés aux églises protestantes et 163 500 francs au culte israélite.

Le système de cette proposition de loi brise l’organisation de l’Église résultant du Concordat. Elle remet aux Conseils municipaux le droit de disposer des crédits affectés aux services des cultes et des édifices religieux.

Elle leur permet le choix de leurs prêtres et de leur culte.

Elle établit laconcurrence religieuse.

Ces dispositions ne font point partie de la politique répressive et persécutrice ; elles appartiennent à la politique expansive, à la politique de liberté.

Les cultes sont, en France, sous le régime collectiviste ; le projet de loi les place sous le régime individualiste où chacun est libre de choisir ses opinions, sa manière de vivre, les groupes auxquels il veut s’adjoindre, et d’essayer de faire prévaloir ses opinions, ses idées, son parti par la discussion.

À la place de l’oppression catholique résultant du Concordat, nous demandons la liberté des cultes.

 

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