Corps d’observations de la Société d’agriculture de Bretagne (extraits)

Corps d’observations de la Société d’agriculture de Bretagne, préparés par Louis-Paul Abeille, J. G. Montaudouin de la Touche (et le subdélégué général Védier) : volume 1 (1760), volume 2 (1762). — Extraits.


CORPS D’OBSERVATIONS DE LA SOCIÉTÉ D’AGRICULTURE, DE COMMERCE ET DES ARTS, ÉTABLIE PAR LES ÉTATS DE BRETAGNE.

Années 1757 et 1758

À RENNES,

Chez Jacques Vatar, libraire, Place du Palais, aux États de Bretagne.

M. DCC. LX. (1760)

Avec approbation et privilège du Roi.

 


 

AVERTISSEMENT.

L’ouvrage qu’on présente au public, n’est ni un traité, ni même un essai sur l’agriculture, les arts et le commerce. Il ne doit être envisagé que comme les préliminaires d’un recueil que l’amour de la patrie, la protection des États et du gouvernement, rendront considérable, et dont l’utilité se fera sentir de plus en plus, à mesure que les matériaux se rassembleront dans le dépôt de la société. Le corps d’observations est moins une suite d’instructions, qu’une suite d’invitations qui porteront ceux qui peuvent aider leur patrie à ne pas lui refuser leur secours. Ceux qui ignorent tout, n’y puiseront que de faibles lumières ; ceux qui sont instruits, apercevront celles dont on a besoin, et le bon usage qu’on désire d’en faire. Par là cet ouvrage sera, sans doute, de quelque utilité ; parce que les personnes bien intentionnées travailleront à sa perfection.

Pour peu qu’on ait parcouru l’histoire des établissements utiles, on sait que les commencements en sont faibles, que les progrès en sont lents, et qu’il faut attendre du temps les fruits d’un travail qui ne peut devenir sensible qu’après plusieurs années d’application et de recherches. La nature est si diversifiée ; nos besoins sont si multipliés ; les intérêts des nations commerçantes sont souvent si contraires ; enfin tant de causes concourent à arrêter les progrès du bien en tout genre, qu’il y aura toujours, sur les trois objets dont la société est chargée, des observations à faire, des méthodes à perfectionner, des machines à inventer ou à rectifier, et des changements à apporter dans la direction de l’agriculture, de l’industrie et du commerce.

Plus cette carrière est vaste, plus elle fait sentir le besoin du concours d’un grand nombre de personnes pour la fournir dans toute son étendue. On ne peut donc trop inviter ceux qui aiment le bien public à faire part de leurs lumières à une société qui ne désire d’en profiter que pour les répandre.

L’agriculture est dans un état de langueur qui frappe les yeux les moins attentifs. Des personnes accoutumées à observer et à calculer d’après leurs observations, prétendent que les deux tiers de la Bretagne sont incultes. Elles assurent que la plupart des terrains cultivés produiraient le double de ce qu’on en retire aujourd’hui, si la culture y était perfectionnée et protégée. Si ces faits sont vrais, et il n’est guère possible d’en douter, ils invitent à former à la fois deux grandes entreprises ; l’une d’améliorer l’agriculture dans les lieux où l’on ne connaît pas assez ses principes et ses pratiques ; l’autre de la faire naître partout où elle n’a pas pénétré. Ces travaux quelque étendus qu’ils soient, ne sont pas au-dessus des forces de ceux qui aiment le bien public, et qui s’en sont occupés. La somme de leurs lumières est immense, il ne s’agit que de les rassembler. Elles ne sont d’aucune utilité pour le public lorsqu’elles sont dispersées ; souvent les personnes qui les possèdent ne peuvent en profiter. Ce n’est qu’en les réunissant qu’elles peuvent éclairer.

L’institution de la société a pour but de recueillir ces connaissances éparses, de les rapprocher et de les répandre. Les membres qui la composent sont bien éloignés de se regarder comme des directeurs placés par les États à la tête de l’agriculture. Ils sont persuadés qu’on ne les soupçonne même pas d’une vanité si déplacée. Chargés d’observer ce qui peut contribuer au bien commun, ils ne sont presque que les dépositaires des instructions que fournissent des citoyens animés comme eux par des sentiments de bienfaisance. Ils ne se croient point dispensés de faire eux-mêmes des expériences et des recherches ; ils donnent avec empressement des éclaircissements aux personnes qui leur font l’honneur de les consulter ; mais ils savent que le rétablissement de l’agriculture ne peut être leur ouvrage. Un si grand bien sera le fruit des observations qui leur seront adressées des différents cantons de la province, et la récompense du travail de la multitude. Ce sera donc exactement l’ouvrage du public, réveillé et encouragé par les États. À l’égard des membres de la société, leur devoir est de joindre leurs observations à celles qu’on leur envoie ; de répéter les expériences qui leur laisseront des doutes ; d’en former un corps dont les parties soient liées ; d’assigner les principes qui doivent porter à faire de certaines entreprises, ou en éloigner ; de rendre compte de leur travail aux États, afin que la province puisse, par des encouragements, faire prospérer ce dont l’utilité est reconnue, et employer son crédit pour faire cesser les obstacles qu’une administration économique ne pourrait surmonter.

Aussi le principal objet de cet avertissement est-il d’inviter les citoyens à grossir le dépôt de la société par des observations sur le bien qu’on peut faire, par des instructions sur la nature des difficultés qui arrêtent les personnes qui cherchent à se rendre utiles, et par des vues sur les moyens d’augmenter notre culture, nos arts et notre commerce.

Pour tirer plus de parti de ces invitations, il est peut-être nécessaire de donner une idée abrégée de ce qui fait l’objet des recherches de la société, et de tracer, pour ainsi dire, le cercle qui renferme les sujets sur lesquels elle attend les secours de ceux qui aiment leur patrie, et qui regardent comme un devoir de la servir.

Quelque indifférent qu’on pût être sur notre agriculture, on la supposerait nécessairement dans un état de perfection, de médiocrité ou de décadence. Dans le premier cas, il serait insensé d’y apporter le plus léger changement ; dans le second, il y aurait une indolence impardonnable à ne pas chercher les moyens de l’améliorer ; dans le troisième, ce serait une espèce de délire que de ne pas réunir tous nos efforts pour sortir d’une situation si périlleuse. Entre ces trois positions, il n’est que trop aisé de démêler quelle est la nôtre, et de connaître par conséquent ce que les liens sacrés de l’humanité exigent de nous.

L’agriculture intéresse tout le monde, depuis le souverain jusqu’au moindre de ses sujets. Qu’on abandonne l’agriculture, l’État sera sans revenus et les sujets sans subsistance. Le clergé, privé de ses dîmes, aura à regretter, et la perte de son plus riche patrimoine, et la douceur de le partager avec les malheureux qui ne peuvent se suffire à eux-mêmes. La noblesse qui jouit, et de grandes dîmes, et de vastes domaines, ne pourra plus se soutenir avec la dignité qui lui convient. Le tiers-état n’aura que d’inutiles possessions. Enfin les rentiers mêmes, cette classe qui ne subsiste que par le travail et les sueurs d’autrui, ne tarderont pas à tomber dans l’indigence.

La décadence ou les progrès de l’agriculture dépendent de plusieurs causes. Les unes tiennent à la politique, les autres viennent du plus ou moins de lumières dans la science économique ; enfin d’autres dépendent des méthodes qu’on suit dans le manuel des opérations.

Les principes politiques qui agissent sur l’agriculture sont ceux qui opèrent nécessairement la dépopulation ou la pauvreté : ce qui semble se rapporter immédiatement à tout ce qui s’oppose à la multiplicité et à la fécondité des mariages, à l’augmentation du travail et de l’industrie. Si ces matières demandent à être examinées avec profondeur, elles veulent être discutées avec beaucoup de circonspection. Le système politique d’un État embrasse toutes ses parties. Le lien qui les réunit, doit partager son effort avec égalité. S’il se relâchait sur certains points, ils cesseraient de tendre tous à un centre commun ; et le déplacement d’une seule partie entraînerait le déplacement de plusieurs autres.

Ce serait une recherche très intéressante, que d’examiner quelle était au commencement de ce siècle la population d’un canton déterminé, par exemple, d’une paroisse ; le nombre de mariages qui s’y célébraient chaque année ; la quantité d’enfants qui y naissaient ; la quotité des impôts qu’elle portait ; ce que les terres y étaient affermées ; si la quantité qu’on en cultivait, est augmentée ou diminuée. En comparant l’état antérieur à l’état actuel, on aurait des éléments suffisants pour indiquer jusqu’à quel point les causes politiques ont agi favorablement ou défavorablement sur la paroisse qu’on aurait, pour, ainsi dire, analysé. Il faudrait examiner en même temps s’il s’est établi dans le lieu quelque nouveau genre d’industrie propre à y attirer des habitants ; si au contraire il s’est formé dans les environs, des établissements qui aient appelé les hommes.

Il est aisé de sentir l’utilité qui résulterait de ces recherches, si elles étaient faites avec exactitude, ou plutôt avec scrupule, dans toute la province. Louis XIV en avait ordonné de semblables à la fin du dernier siècle, qui ne furent terminées qu’au commencement de celui-ci. Les résultats en ont été imprimés, et la nation en eût recueilli les fruits, si les événements qui précédèrent la paix d’Utrecht n’avaient pas mis des barrières insurmontables à l’exécution du plan qui avait donné lieu à cet examen.

On peut réduire à l’économique de l’agriculture, ce qui intéresse directement les propriétaires dans l’administration de leurs biens. L’agriculture ne consiste pas seulement à bien cultiver, mais à cultiver les choses qui donnent le plus de profit. Le choix dans ce genre résulte de connaissances indépendantes des pratiques de l’agriculture. Par exemple, ceux qui possèdent des terres éloignées de la mer et des rivières, ne devraient pas s’attacher à la culture des choses dont le volume et le poids occasionneraient de grands frais de transport. L’emploi le plus convenable de leurs terrains devrait consister en lins, en chanvres et en productions, qui occupant beaucoup de bras, acquièrent de nouvelles valeurs capables de dédommager des frais de voiture. Les prairies ne peuvent être trop multipliées dans les lieux éloignés de la mer, des rivières et des chemins commodes, parce qu’elles mettent en état d’élever et d’entretenir beaucoup de bétail. Le bétail qui donne des produits journaliers pour la nourriture des hommes, assure de grands profits pour la fourniture des boucheries et des tanneries ; et il se transporte à des distances considérables, sans exiger d’autres frais que sa nourriture.

Il serait très essentiel que des personnes intelligentes examinassent dans chaque canton les branches d’agriculture qui y sont ou qui y seraient les plus avantageuses. Si l’on connaissait bien la situation et l’exposition des lieux, les besoins locaux, les consommations qui sont abondantes, et qui peuvent le devenir encore plus, les ressources que pourraient trouver ceux qui établiraient des fabriques de matières du crû, on aurait les meilleurs guides pour toutes les opérations économiques.

Pour juger à quel point les observations économiques ont été négligées, il ne faut que considérer l’article des engrais. Tout le monde sait que les terres demandent plus ou moins d’engrais ; que ceux qui conviennent aux unes, ne sont pas toujours aussi favorables à d’autres. On en est demeuré là. Cependant tout invite à connaître avec précision nos besoins et nos ressources à cet égard. Il y a dans chaque canton une proportion entre la qualité et la quantité des engrais, et la qualité et la quantité des terres labourées. Il y a par conséquent une proportion nécessaire entre l’étendue de terrain qui doit être employée en prairies, et l’étendue de terrain qu’on laboure. L’étendue des prairies doit être déterminée par la quantité de bétail qu’on doit entretenir, et le nombre du bétail dépend de la quantité d’engrais qu’exige la culture. Il y a d’ailleurs un choix à faire dans l’espèce de bétail relativement à la nature des terres ; ce qui doit faire varier la proportion des prairies, parce que les différentes espèces d’animaux consomment plus ou moins de fourrages, et fournissent plus ou moins d’engrais. Quel fruit ne retirerait-on pas de déterminations fixes sur cette matière ?

Ces observations économiques deviendraient plus intéressantes par leurs conséquences, que la découverte d’un procédé d’agriculture pratique. Convaincre le laboureur de la nécessité de former des prairies artificielles, fixer leur étendue proportionnelle avec les autres terres, c’est rendre au public un service plus important que de décrire le procédé qu’on doit suivre pour former ces prairies. On trouve des méthodes partout ; l’expérience apprend bientôt à les rendre parfaites, en les pliant à la nature du sol. Mais on ne trouve nulle part la quantité proportionnelle de terrain que les prairies doivent occuper.

Quelque avantageux qu’il soit de bien démêler les causes politiques ou économiques qui contribuent au dépérissement de l’agriculture, ou à la rendre florissante, il ne l’est pas moins de chercher à connaître les avantages ou les inconvénients de la pratique.

Les laboureurs n’ont communément que des routines, et ce terme n’entraîne pas toujours avec soi l’idée d’ineptie. On a eu plus d’une occasion de remarquer que certaines pratiques de la campagne, qui paraissent fondées sur une mauvaise théorie, sont justifiées par une longue expérience. L’agriculture est nécessairement une routine entre les mains de ceux qui ignorent les principes physiques dont leur pratique est le résultat ; ignorance heureuse pour le royaume, à qui il importe autant de n’avoir qu’un petit nombre de physiciens, que d’avoir un grand nombre de laboureurs. Une routine fondée sur de bons principes ignorés du laboureur, est tout ce qu’on peut désirer de mieux pour l’agriculture. Mais les causes physiques sont si diversifiées ; tant de circonstances, souvent difficiles à apercevoir, concourent à rendre les pratiques ou avantageuses ou nuisibles, que les routines qui ne se sont introduites que par imitation, peuvent être accompagnées d’ineptie. Il faut alors les changer.

Chacun croît que les cultures qu’il a vu pratiquer, ou qu’il a pratiquées, renferment tout l’art de l’agriculture : aussi trouve-t-on une multitude de personnes qui pensent de très bonne foi n’avoir rien à apprendre sur un art si étendu, et même être en état de donner aux autres d’utiles leçons. Cette confiance, quoique très naturelle, puisqu’elle est presque générale, est blâmable en ce qu’elle nuit aux progrès de l’art. Elle empêche les lumières de s’étendre. Resserré dans le cercle de ses connaissances, presque personne ne profite de celles d’autrui. Cependant un petit nombre de réflexions conduiraient à dissiper une erreur si commune.

La diversité des terres est presque infinie, et celles qui se ressemblent le plus à certains égards, demandent souvent des pratiques de culture différentes et même opposées. Comment serait-il possible à une personne qui ne s’est appliquée qu’à l’agriculture d’un petit canton, d’avoir des idées nettes sur les principes de l’agriculture générale ? Et sans ces principes, comment peut-on juger si on tire de ses terres tout le parti qu’on pourrait en tirer ?

Il est reconnu que la plus grande partie de la province est mal cultivée. On doit en conclure que la plus grande partie de ses cultivateurs ignorent l’agriculture. Mais comme il est incontestable que plusieurs cantons sont cultivés avec beaucoup d’intelligence et de succès, il faut avouer aussi qu’il y a des cultivateurs qui ont raison de se croire très bien instruits par rapport aux cantons qu’ils habitent. Ceux qui notoirement cultivent mal (et c’est le plus grand nombre) gagneraient autant à profiter du bon exemple, qu’ils perdent en s’imaginant que ce qu’ils pratiquent, est ce qu’il y a de mieux à pratiquer.

Pour profiter des lumières de ceux qui ont pris la bonne route, et y ramener ceux qui s’en sont écartés, ou qui ne l’ont jamais connue, il serait à souhaiter que beaucoup de personnes fissent une exposition simple, mais détaillée, de tout ce qui entre dans l’agriculture de leur pays. Il ne serait pas impossible d’apprécier les différentes méthodes, si on avait une idée suffisante de la nature des terrains, de leur exposition, de la qualité des grains et des graines qu’on y sème, de la manière de labourer, du nombre de labours usités pour chaque genre de culture, de la quantité de grain qu’on sème dans une étendue déterminée, et de la quantité qu’on en recueille, de la nature des prairies, de leur proportion en étendue avec les terres labourées, de l’espèce de bois qui réussit le mieux, enfin de tout ce qui est l’objet du travail des agriculteurs. Les Mémoires de cette espèce seraient reçus par la société avec la plus grande reconnaissance, et ceux qui s’en seraient occupés, ne tarderaient pas à recueillir le fruit de leur travail, par le profit que trouveraient leurs compatriotes à imiter leur exemple.

Les détails dans lesquels on vient d’entrer, quelque abrégés qu’ils soient, prouvent que par amour pour le bien public, la société désire de connaître exactement l’état de l’agriculture de la province. Les citoyens éclairés savent à peu près ce qui manque dans le canton qu’ils habitent, la nature des secours qui y seraient nécessaires, ce qu’on y fait, ce qu’on pourrait ou ce qu’on devrait y faire. On les supplie avec instance de communiquer leurs observations et leurs vues. Tout le monde est intéressé à grossir un dépôt qui n’a été établi que pour le bien commun, et qui rendra au centuple les instructions que chaque particulier y aura versées.

La société attend et désire les mêmes secours sur une autre partie de son travail, étroitement liée à l’agriculture. C’est celle des arts. Ce serait une carrière très vaste à fournir, si on prenait ce terme dans le sens qu’il présente lorsqu’il est isolé. Par rapport à la société, on ne doit envisager que les arts qui sont placés entre l’agriculture et le commerce de Bretagne. Elle n’étend point le mot arts au-delà de ce qui regarde le labourage, les préparations des matières du crû de la province, la fabrication de ces matières, les apprêts qui leur sont nécessaires après qu’elles ont été fabriquées, et les machines qui peuvent faciliter la culture, les préparations, les manufactures, la navigation.

Parmi les observations ou les découvertes qu’on voudra bien lui communiquer, elle préférera toujours celles qui auront une application prochaine à des objets d’utilité établis ou entamés. Ainsi des instruments de labourage plus simples et plus commodes, des moulins à huile, ou des moulins à scie, des machines propres à abréger le travail des artisans et des fabricants, l’introduction de nouvelles industries qu’on est à portée d’exercer, comme la fabrication du linge ouvré, des petites étoffes de fil ou de laine, voilà ce qu’elle désire le plus de voir s’accréditer ou s’établir. Ce n’est qu’après avoir porté à la perfection les arts qui font subsister la multitude, qu’on doit songer à ceux qui demandent une dextérité et des connaissances dont la plupart des hommes ne sont pas capables.

Au reste, on peut contribuer au progrès des arts, sans s’appliquer aux machines et aux instruments des artistes et des artisans. Par exemple, ce serait travailler pour les manufactures de toiles, que d’examiner si la manière de cultiver et de préparer les lins, de blanchir les fils, etc., n’en altère pas la qualité, soit du côté de la force, soit du côté de la souplesse. Les tisserands peuvent essuyer, dans de certains endroits, des contradictions qui les découragent, et qui tendent par conséquent à en diminuer le nombre. Ce serait un bien réel que d’étudier les moyens de les faire cesser. Il peut s’être glissé des erreurs ou même des abus dans la fabrication, qui empêchent l’ouvrier d’y trouver autant de profit que s’il était mieux instruit. Le bien public demanderait qu’ils fussent connus. Les observations de cette espèce ne sont minutieuses qu’en apparence. Tout ce qui peut conduire au bien général, est digne de l’attention d’un citoyen.

À l’égard du commerce, il ne faut qu’ouvrir les yeux pour voir qu’il s’étend à tout, et que par conséquent il intéresse tous les hommes. Il est vraisemblable que la vigilance de la société tombera particulièrement sur ce qu’on nomme commerce intérieur. Le commerce maritime est entre les mains de négociants capables, et si l’établissement de la société peut leur être utile, ce n’est qu’en ce qu’elle est à portée de leur épargner des discussions que souvent ils abandonnent pour ne pas s’écarter de leurs travaux ordinaires. Les commerçants ne voient communément que leur objet, et c’est voir beaucoup, parce que chaque objet, pris en grand, demande une vue forte et toujours tendue. L’utilité publique veut qu’on leur épargne toute distraction. Ainsi la société se ferait un plaisir, et regarderait même comme un devoir de représenter aux États tout ce qui servirait à étendre ou à faciliter leurs opérations. C’est en apparence le seul côté par lequel elle puisse être d’une utilité directe au commerce maritime.

Mais ce sera le servir efficacement, quoique d’une manière qu’on peut regarder comme indirecte, que de donner toute l’activité possible au commerce intérieur ; parce qu’il fortifie, à plus d’un égard, le commerce extérieur ou d’exportation. On verra par l’ouvrage qu’on soumet au jugement du public, que si la société n’a vu qu’une partie du bien qu’on peut faire, elle n’a détourné les yeux d’aucuns des objets qu’elle a pu observer, ou qu’on lui a montrés. Les pèches de nos côtes, les fabriques de toiles, de laines, de papiers, d’huiles, etc., présentaient un champ trop vaste pour pouvoir être parcouru en peu de temps. On rassemblera de nouveaux faits ; les avis, les instructions, les plaintes même sur ce qui embarrasse le commerce, se multiplieront ; ainsi la province profitera successivement d’un travail qu’elle a ordonné, qu’elle protège, mais qui, par sa nature et son objet, doit toujours augmenter, sans être jamais conduit à sa fin. Il est malheureusement impossible que le commerce soit porté à sa perfection ; quand même il y parviendrait, il ne demeurerait pas longtemps dans cet état ; trop de causes nationales ou étrangères en entretiennent l’instabilité.

Plus il est difficile que le commerce se soutienne toujours également, plus il est nécessaire que ses variations soient observées avec persévérance. On voit assez que, sans cette application, un faux pas en entraînerait mille autres, et que le mal pourrait devenir irrémédiable avant qu’on s’en fût aperçu. La société désire donc extrêmement qu’on lui communique tout ce qu’on croira pouvoir augmenter le bien, arrêter ou prévenir le mal sur cette matière. Si l’on avait besoin d’exciter les patriotes à donner des instructions et à communiquer leurs vues, il suffirait sans doute de leur montrer les délibérations des États sur ce qui compose le corps d’observations de la société. Ils y verront avec quelle bienfaisance la province accorde des secours, et prête son appui à tout ce dont le public peut profiter. Ses bienfaits annoncent à ceux qui souffrent, qu’ils n’ont qu’à montrer leurs besoins pour être secourus, et qu’ils ne pourront s’en prendre qu’à eux-mêmes mêmes si les obstacles, que trouvent souvent et trop souvent le zèle et la bonne volonté, ne sont pas aplanis, lorsqu’ils seront de nature à l’être.

On a cru devoir présenter ici l’abrégé de ce qui occupe la société. Les personnes instruites verront avec plaisir qu’on cherche à entrer dans la carrière qu’elles ont fournie. Celles qui ne le sont pas, gagneront peut-être beaucoup à apprendre que la province a les yeux ouverts sur tout ce qui peut contribuer à la rendre florissante, et qu’elle récompense ceux-mêmes qu’elle invite à s’enrichir. Le zèle de la société pour le bien public, pour le progrès de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, est bien plus propre à l’éclairer sur ce qui manque à cet ouvrage, qu’à lui exagérer le prix de ce qu’il contient. Ainsi quels que puissent être le motif de ses lecteurs, elle désire qu’ils s’occupent plutôt de ce qui devrait être dans le corps d’observations, et qui ne s’y trouve pas, que de ce qu’il peut renfermer d’utile. Plus on sera étonné en voyant des commencements si faibles, plus on sera porté à secourir des citoyens qui demandent au nom du public l’assistance de tous ceux qui peuvent les instruire. Ils n’ont garde de proposer comme une invitation leur propre reconnaissance, mais celle du public, qui, appréciant les hommes par le bien qu’ils font, peut seul récompenser dignement ceux qui se rendent les bienfaiteurs de l’humanité.

La société croirait manquer à un de ses principaux devoirs, si elle ne publiait pas ce qu’elle doit à M. le duc d’Aiguillon. L’intérêt qu’il a pris à son établissement ; l’empressement avec lequel il en a fait autoriser les assemblées par un brevet de Sa Majesté ; l’attention qu’il a d’exciter le zèle et des associés, et de ceux qui peuvent concourir au progrès de leur travail ; les démarches qu’il a bien voulu faire pour appuyer les vues dont il a reconnu l’utilité, les soins qu’il s’est donnés lui-même pour éclairer la société par des instructions qu’elle n’aurait pu se procurer ; tout se réunit pour lui assurer une reconnaissance égale à son amour pour le bien public.

On prétend qu’un assez grand nombre de citoyens éclairés par une longue expérience, privent leurs compatriotes d’excellentes observations, par des motifs que la société a bien de la peine à supposer. Les uns, dit-on, sont arrêtés par le défaut d’habitude d’écrire les choses qu’ils exécutent le mieux. D’autres, à qui leurs affaires laissent peu de moments libres, n’en trouvent point pour porter ce qu’ils ont écrit, au degré de correction qu’ils sont capables d’y donner, et sans lequel ils se font une peine de produire leurs observations. Ces personnes ignorent, ainsi il est juste de les en avertir, que le style est ce qui intéresse le moins la société. Des observations, des faits, des expériences, des vues, voilà ce qui attire son attention ; la manière dont elles sont écrites n’ajoute et ne diminue rien au cas qu’on fait de la pénétration, du jugement et de la droiture de cœur de ceux qui écrivent. Les gens sensés jugent les ouvrages comme ils jugent les hommes : par leur valeur intrinsèque. Le mémoire le plus mal écrit serait certainement le plus estimé, s’il contenait plus de bonnes choses que les autres.

La société ne regarde point comme une récompense de nommer ceux qui lui font part de leurs lumières. C’est un devoir. Elle le remplira toujours avec fidélité, excepté dans le cas où les personnes ne voudront pas être nommées ; et ce ne sera jamais sans quelque regret qu’elle déférera à leur modestie.

Les États n’ont envisagé que le bien public en instituant la société. Sa Majesté l’a autorisée comme un établissement dont l’objet ne peut être que fort utile à la province et à l’État. Voilà le but que doivent envisager continuellement ceux que la province a honorés de son choix. C’est leur titre pour espérer qu’ils seront encouragés et secourus par les personnes qui savent voir et sentir les besoins de leur patrie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.