CORRESPONDANCE DE LOUIS-PAUL ABEILLE AVEC VOLTAIRE
Extrait de la Correspondance de Voltaire éditée par Theodore Besterman
D9571, Louis-Paul Abeille à Voltaire
(tome 106, p.491)
Paris, le 23 janvier 1761
Les hommes supérieurs, monsieur, inspirent la confiance. C’est ce qui me détermine à vous envoyer le corps d’observation de la société de Bretagne. On a tout à gagner, monsieur, en lisant vos ouvrages ; mais la postérité perdrait trop si vous lui dérobiez le temps que vous lui devez, par la lecture de tous ceux qu’on a la vanité de vous adresser. Agréez cependant le premier recueil d’une compagnie qui s’est consacrée à la bienfaisance. C’est un titre de recommandation auprès de vous. Si vous me permettez, monsieur, de vous envoyer la suite de cet ouvrage, à mesure qu’il paraîtra, je garderai cette grâce comme un encouragement et comme la récompense la plus précieuse de mon travail. Je suis avec respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Abeille,
secrétaire de la société d’agriculture, de commerce et des arts.
D9613, Voltaire à Louis-Paul Abeille
(tome 107, p.28)
Aux Délices, par Genève, 7 février 1761
Vous ne devez douter, monsieur, ni du plaisir que vous m’avez fait, ni de ma reconnaissance. Je suis le moindre des agriculteurs, et dans un pays qui peut se vanter d’être le plus mauvais de France, quoiqu’il soit des plus jolis ; mais quiconque fait croître deux brins d’herbe où il n’en venait qu’un rend au moins un petit service à sa patrie. J’ai trouvé de la misère et des ronces sur de la terre à pot. J’ai dit aux possesseurs des ronces : Voulez-vous me permettre de vous défricher ? ils me l’ont permis, en se moquant de moi. J’ai défriché, j’ai brûlé, j’ai fait porter de la terre légère ; on a cessé de me siffler, et on me remercie. On peut toujours faire un peu de bien partout où l’on est. Le livre que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer, monsieur, en doit faire beaucoup. Je le lis avec attention. Corneille ne me fait point oublier Triptolème. Agréez mes sincères remerciements, et tous les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire,
gentilhomme ordinaire du roi.
D10745, Voltaire à Louis-Paul Abeille
(tome 109, p.254)
À Ferney, 7 octobre 1762
Ne jugez pas, monsieur, de ma reconnaissance par le délai de mes remerciements. Des spectacles qu’il a fallu donner chez moi, par complaisance autant que par goût, m’ont pendant quelque temps détourné de l’agriculture.
Post habui tamen illorum mea seria ludo. (Virgile, Eclogues. vii.17.)
Je profite des premiers moments d’un loisir nécessaire à mon âge et à ma mauvaise santé, pour vous dire que je n’ai pas seulement lu avec plaisir, mais avec fruit, le livre dont vous avez bien voulu m’honorer. Ce sera à vous, monsieur, que je devrai des prés artificiels. Je les fais tous labourer et fumer. Je sème du trèfle dans les uns, et du fromental dans les autres. Tout vieux que je suis, je me regarde comme votre disciple. On défriche, dit-on, une partie des landes de Bordeaux, et on doute du succès. Je ne doute pas des vôtres en Bretagne. Les états se signalent par des encouragements plus utiles que des batailles. Vous partagez cette gloire. Soyez persuadé, monsieur, de la reconnaissance respectueuse avec laquelle j’ai bien sincèrement l’honneur d’être votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire.
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