La correspondance de Vincent de Gournay fait état de plusieurs lettres envoyées à l’abbé Morellet, dans lesquelles on constate une grande familiarité et surtout une véritable proximité intellectuelle entre les deux hommes. Dans la première, datant de 1751, Gournay y félicite Morellet d’avoir abouti aux conclusions que l’économie française a besoin de liberté, de protection, et d’une égalité entre les nations par la baisse de l’intérêt, offrant en une seule phrase un résumé presque complet de ses propres conceptions. B.M.
Lettre à Morellet
Bibliothèque municipale de Lyon
Ms. Fonds général. 2582
(Papiers de Morellet)
II-2 Lettre à Morellet
Paris, le 27 octobre 1751
J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire de Lyon le 22 du mois passé. Mme Gournay est très sensible à la part que vous avez bien voulu prendre à sa convalescence et vous en fait ses remerciements.
Je suis charmé que vous trouviez que les principes que j’ai cherché à établir sont vrais et ne sont point contraires aux détails. Il faut du temps pour déraciner les routines, sur tout le gouvernement n’y voulant rien hâter sur cette matière. Je suis charmé de vous avoir fait faire connaissance avec M. Mayeure ; il est aussi bien instruit que bien intentionné. Je souhaiterais que son mémoire sur les billets à ordre fût imprimé aussi bien que celui sur les affinages.
Je viens d’éprouver une supercherie qui doit faire sentir au ministère combien la gêne était précieuse et utile à ceux qui sont préparés pour la soutenir, puisqu’ils emploient des moyens aussi bas pour la conserver. On a enfin permis depuis quelque temps en Languedoc la libre fabrication des draps pour le Levant en détruisant le tableau et la fixation à peine. Cela a-t-il été fait qu’il est venu des plaintes sans nombre que la fabrique s’altérait et marchait à une décadence certaine ; il est venu même des lettres à ce sujet signées des principaux fabricants de Carcassonne. Ces lettres m’ayant été communiquées, je les ai envoyées à ces fabricants. Ils ont reconnu qu’elles étaient fausses, que leurs signatures avaient été contrefaites, et sur les recherches qu’ils ont fait de l’auteur de ces lettres, ils ont découvert qu’elles ont été forgées par un aspirant élève à l’inspection, lequel se voyant découvert s’est évadé. Des bonzes qui voient l’idole qui les fait vivre attaqué se seraient-ils conduits autrement ?
Le titre que vous proposez d’un ouvrage sur les obstacles qui s’opposent chez nous au progrès du commerce, tout pourrait y rentrer.
J’envoie aujourd’hui à M. Mayeure le mémoire de Nantes ; il pourrait servir de modèle à celui qu’on pourrait faire sur la douane de Lyon, en retranchant les longueurs. Je crois que le public gagnerait à être instruit de tous ces détails.
Vous aurez pu dans notre voyage de Languedoc et de Provence vous instruire de plusieurs choses relatives au commerce du Levant ; vous y aurez entendu parler de la visite des matelots et vous aurez pu en approfondir les causes. J’espère que vos observations serviront un jour à nous ramener à la raison en faisant voir à quel point nous nous en sommes écartés, et avec combien de facilité nous aurions un grand commerce si l’intérêt de l’argent était bas, si nos vrais marchands étaient protégés en temps de guerre, et si nous laissions faire les sujets du Roi sans vouloir leur ordonner des choses que nous n’entendons pas, et que les besoins du commerce font varier à chaque instants.
On est disposé à accorder au Sr Lambert le titre de manufacture royale.
Vous connaissez les sentiments d’estime et d’attachement avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
De Gournay
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