Vauban fut l’un des rares à oser critiquer la persécution des protestants suite à la Révocation de l’Édit de Nantes, soit que les autres ne comprenaient pas l’influence de cette décision, soit qu’ils étaient trop lâches pour communiquer leurs réflexions. Remarquable à de nombreux points de vue, le mémoire de Vauban précise également tous les défauts « économiques » d’une persécution religieuse. B.M.
Mémoire sur le rappel des Huguenots
envoyé par Vauban à Louvois en 1689
(extrait des Écrits économiques de Vauban, p.177-193)
Il n’y a pas lieu de douter que le projet des conversions n’eût eu tout le succès que le roi en avait espéré, et sa majesté la satisfaction de conduire ce grand ouvrage à une heureuse perfection , si la trêve[1], qui paraissait établie sur des fondements si solides, eût subsisté tout le temps convenu entre les puissances intéressées ; et on y serait infailliblement parvenu en douze ou quinze années, attendu que les plus anciens et plus opiniâtres huguenots seraient morts ou fort diminués dans cet espace de temps ; que la plus grande partie de ceux de moyen âge, pressés par la nécessité de leurs affaires, par le désir du repos ou par leur propre ambition, s’y seraient accommodés, et que les jeunes se seraient à la fin laissés persuader. Jamais chose n’eût mieux convenu au royaume que cette uniformité de sentiments, tant désirée, s’il avait plu à Dieu d’en bénir le projet. On sait bien que cela ne pouvait s’exécuter d’autorité sans qu’il en coûtât au royaume ; mais cette perte, quoique considérable, n’eût pas été comparable au bien qui en aurait réussi, si on eût pu parvenir à l’exécution totale de ce dessein, car ils ne se seraient pas obstinés à beaucoup près, comme ils ont fait, s’ils n’avaient été flattés de l’espoir des protections étrangères et d’une guerre prochaine qui, étant enfin arrivée plus tôt qu’on ne l’avait prévue, a fait que ce qui était très bon de soi dans les commencements, est devenu très mauvais par les suites.
De sorte que ce projet si pieux, si saint et si juste, dont l’exécution paraissait si possible, loin de produire l’effet qu’on en devait attendre, a causé et peut encore causer une infinité de maux très dommageables à l’État.
Ceux qu’il a causés sont : 1° la désertion de 80 ou 100 000 personnes de toutes conditions, sorties du royaume, qui ont emporté avec elles plus de 30 000 000 de livres de l’argent le plus comptant ;
2° Nos arts et manufactures particulières, la plupart inconnus aux étrangers, qui attiraient en France un argent très considérable de toutes les contrées de l’Europe ;
3° La ruine de la plus considérable partie du commerce ;
4° Il a grossi les flottes ennemies de 8 à 9 000 matelots des meilleurs du royaume ;
Et 5° leurs armées de 5 à 600 officiers et de 40 à 42 000 soldats beaucoup plus aguerris que les leurs, comme ils ne l’ont que trop fait voir dans les occasions qui se sont présentées de s’employer contre nous.
À l’égard des restés dans le royaume, on ne saurait dire s’il y en a un seul de véritablement converti, puisque très souvent ceux qu’on a cru l’être le mieux, ont déserté et s’en sont allés. Ce qu’il y a de bien certain est que de tous ceux qui l’ont été par les contraintes, on en voit fort peu qui avouent de l’être, ni qui soient contents de leur conversion, bien au contraire, la plupart affectent de paraître plus huguenots qu’ils ne l’étaient avant leur abjuration, et si on regarde la chose de près, on trouvera qu’au lieu d’augmenter le nombre des fidèles dans ce royaume, la contrainte des conversions n’a produit que des relaps, des impies, des sacrilèges et profanateurs de ce que nous avons de plus saint, et même une très mauvaise édification aux catholiques ; des ecclésiastiques qui ont obligé les nouveaux convertis à l’usage des sacrements pour lesquels ils n’avaient nulle créance, d’autant que cet usage mal appliqué a fait croire à plusieurs que, puisqu’ils les exposaient si légèrement, ils n’y avaient pas eux-mêmes beaucoup de foi, pensées qui ne valent rien dans un pays où l’on n’est déjà que trop libre à raisonner sur la religion.
Pour conclusion, toutes les rigueurs qu’on a exercées contre eux n’ont fait que les obstiner davantage, et les plaintes des exécutions qu’on leur a fait souffrir se sont fait entendre chez tous nos voisins de cette religion, même chez ceux que nous avons le plus intérêt de ménager, où Dieu sait si leurs ministres ont su grossir les objets, et si leurs sermons ont été bien remplis de tous les supplices que l’imagination a pu fournir ; Dieu sait, dis-je, le martyrologe qu’ils en ont historié, et comme ils le font valoir pour toujours les échauffer de plus contre nous, ce qui pourrait même aller jusqu’à nous les faire perdre tout à fait dans le temps que nous en avons le plus besoin. Il est du moins certain que cela sert plus que toute autre chose à maintenir l’union entre les puissances confédérées contre nous.
Ce n’est pas là tout le mal qu’ils ont fait, puisque la quantité de bonnes plumes qui ont déserté le royaume, à l’occasion des conversions, se sont cruellement déchaînées contre la France et la personne du roi même, contre laquelle elles ont eu l’impudence de faire une infinité de libelles diffamatoires qui courent le monde et toutes les cours des princes de l’Europe, huguenots ou catholiques, qui n’ont rien tant à cœur que de rendre sa personne odieuse dans tous les pays de leur confédération ; tout cela n’est que le mal qui a réussi jusqu’à présent des conversions forcées.
Mais celui qu’il y a lieu d’en craindre ci-après me paraît bien plus considérable, puisqu’il est évident : 1° que plus on les pressera sur la religion, plus ils s’obstineront à ne vouloir rien faire de tout ce qu’on désirera d’eux à cet égard, auquel cas voilà des gens qu’il faudra exterminer comme des rebelles et des relaps, ou garder comme des fous et des furieux ;
2° Que, continuant de leur tenir rigueur, il en sortira tous les jours du royaume qui seront autant de sujets perdus et d’ennemis ajoutés à ceux que le roi a déjà ;
3° Que d’envoyer aux galères ou faire supplicier les délinquants, de quelque façon que ce puisse être, ne servira qu’à grossir leur martyrologe, ce qui est d’autant plus à craindre que le sang des martyrs de toutes religions a toujours été très fécond et un moyen infaillible pour augmenter celles qui ont été persécutées. [2] On doit se souvenir sur cela du massacre de la Saint-Barthélemy en 1572, ou, fort peu de temps après l’exécution, il se trouva 440 000 huguenots de plus qu’il n’y en avait auparavant ;
4° Qu’il est à craindre que la continuation des contraintes n’excite à la fin quelque grand trouble dans le royaume qui pourrait faire de la peine au roi par les suites en plusieurs manières, et causer de grands maux à la France, notamment si le prince d’Orange venait à réussir à quelque grande descente, et qu’il y pût prendre pied ; car il est bien certain que la plus grande partie de ce qu’il y a de huguenots cachés iraient à lui, grossiraient son armée en peu de temps, et l’assisteraient de tout ce qui pourrait dépendre d’eux, qui est bien le plus grand péril, le plus prochain, le plus à craindre, où la guerre présente puisse exposer cet État ; tous les autres me paraissent jeux d’enfants ou très éloignés en comparaison de celui-ci.
La continuation des contraintes ne produira jamais un seul vrai catholique, et ne fera qu’aigrir de plus en plus l’esprit des cantons protestants alliés de cette couronne, qui, à ce que j’apprends, sont à tout moment prêts à nous abandonner à cause des rigueurs qu’ils apprennent qu’on exerce contre leurs frères. D’ailleurs, il est vrai de dire qu’elles n’ont édifié personne, pas même ceux qui ont été commis à leur exécution, à qui souvent elles ont donné de l’horreur et de la compassion. On peut donc s’assurer de plus que leur continuation ne saurait apporter aucun bien à ce royaume, mais bien un obstacle très considérable à la paix, attendu que si elle est générale, tous les protestants s’obstineront à vouloir la réhabilitation de l’édit de Nantes, et ne manqueront pas de demander des places de sûreté, de gros dédommagements, et d’appuyer fortement sur cet article, dont on ne se pourra sauver que par quelque gros équivalent. Que si, par le mauvais état des affaires, ou était obligé d’y acquiescer, les véritables ennemis de cette couronne (c’est-à-dire la maison d’Autriche et le prince d’Orange) seraient enfin parvenus à jeter les fondements d’une seconde domination ou d’une nouvelle division dans ce royaume, qui est ce à quoi la politique des premiers a tendu de tout temps, et ce qu’ils ont désiré avec tant de passion qu’il n’y a rien eu de bon et de mauvais qu’ils n’aient employé pour y parvenir sous les règnes de Charles-Quint, Philippe II et Philippe III.
Il est de plus très certain qu’ils obligeraient, s’ils pouvaient, le roi à désarmer et à n’entretenir qu’un certain nombre de troupes si médiocre, qu’il ne pût plus leur donner d’inquiétude, et il est à présumer que, si les choses étaient réduites à ce point, la maison d’Autriche n’en demeurerait pas là, et que ses prétentions n’iraient pas moins qu’à réduire le roi au traité des Pyrénées ou a celui de Münster, comme ils ont osé s’en vanter depuis peu. On ne doit pas douter que ce ne soit là leur intention, et qu’ils ne l’exécutent autant qu’il pourra dépendre d’eux, à quoi je ne vois rien qui y puisse tant contribuer que de continuer à violenter les huguenots.
L’obstination au soutien des conversions ne peut être que très avantageuse au prince d’Orange, en ce que cela lui fait un grand nombre d’amis fidèles dans le royaume, au moyen desquels il est non seulement informé de tout ce qui s’y fait, mais de plus très désiré et très assuré (s’il y peut mettre le pied) d’y trouver des secours très considérables d’hommes et d’argent. Que sait-on même, ce malheur arrivant, si une infinité de catholiques ruinés et appauvris, qui ne disent mot, et qui n’approuvant ni la contrainte des conversions ni peut-être le gouvernement présent, par les misères qu’ils en souffrent, leurrés d’ailleurs de ses promesses, ne seraient pas bien aises de le voir réussir ! Car il ne faut pas flatter, le dedans du royaume est ruiné, tout souffre, tout pâtit et tout gémit : il n’y a qu’à voir et examiner le fond des provinces, on trouvera encore pis que je ne dis. Que si on observe le silence, et si personne ne crie, c’est que le roi est craint et révéré, et que tout est parfaitement soumis, qui est au fond tout ce que cela veut dire.
Voilà donc d’une part les maux qui sont arrivés jusqu’à présent par la contrainte des conversions ; et d’autre ceux qui peuvent arriver, si les ennemis de cette couronne continuent de demeurer unis ; en ce cas, la guerre, ne pouvant pas manquer d’être toujours offensive de leur part, et devenir défensive de la nôtre, il est impossible que nous ne perdions terrain et qu’à la fin la frontière ne soit pénétrée par un endroit ou par l’autre. Or, si cela arrivait, on peut dire que tout serait perdu ou fort aventuré, puisque ladite frontière percée il n’y a rien en deçà de la Meuse ni de la Somme qui pût arrêter l’ennemi, vu que la Bourgogne, la Champagne, la Picardie et l’Ile-de-France, etc., étant tous de grands pays ouverts, très propres à la cavalerie, où il n’y a pas une seule ville en état de tenir trois jours, toutes étant ouvertes, sans défenses et sans fortifications, de sorte que si l’ennemi s’y trouvait maître de la campagne, il aurait beau à se promener et de quoi s’étendre à sen aise ; alors Dieu seul peut savoir les courses, les dégâts, les incendies, les saccagements et destructions qui arriveraient dans ce pauvre royaume, pour lesquels empêcher il n’y aurait d’autre moyen que de s’y opposer avec des armées moins nombreuses que les leurs, et par conséquent obligées à une basse et lâche défensive, ou d’en venir à des affaires générales, dont la décision, pouvant tourner à notre désavantage, serait capable de tout perdre et de causer une révolution dans l’État, ou enfin de le réduire à des extrémités qui ne vaudraient guère mieux. Or il est certain que tout cela peut arriver, et que les apparences mêmes (eu égard à l’état des affaires présentes) paraissent plus pencher pour l’affirmative que pour la négative.
Je suis persuadé qu’on ne peut disconvenir de la possibilité de tous ces cas, qui, eu égard à leur conséquence et aux maux prochains dont ils semblent menacer le royaume, méritent que le roi y fasse une très sérieuse attention, et que sa majesté y apporte les remèdes possibles pendant qu’il dépend encore d’elle de la régler comme il lui plaît, afin de prévenir les sollicitations étrangères qu’on pourrait lui faire à cet égard, surtout celles qui pourraient en attribuer les grâces à d’autres qu’à elle, de peur que ses sujets ne crussent leur en avoir obligation. Or ces sollicitations, si la chose était longtemps différée, pourraient venir des demandes et des conditions fort dures, s’il fallait qu’elles fissent partie d’un traité de paix. C’est pourquoi présentement que le roi est dans la pleine jouissance de ses droits, et que personne n’est en état de lui rien proposer en faveur des religionnaires, il semble que c’est le vrai temps d’user de sa justice envers eux, parce qu’on ne la pourra imputer à aucune considération étrangère, au lieu que s’il attend qu’il soit pressé, toutes les grâces qu’il leur fera seront altérées ou attribuées à ces considérations, ou à celles des traités qui lui en enlèveront tout le mérite, et leur donneront lieu de regarder ceux par qui elles leur seront procurées comme leurs vrais protecteurs, qui est ce qu’il faut éviter comme l’un des plus grands malheurs qui pût arriver à la France.
J’avoue bien qu’il est dur à un grand prince de se rétracter des choses qu’il a faites, spécialement quand elles n’ont eu pour objet que la piété et le bien de l’État ; mais enfin le roi sait mieux que personne que, dans toutes les affaires de ce monde qui ont de la suite, ce qui est bon dans un temps l’est rarement dans un autre, et qu’il est de la prudence des hommes sages de s’accommoder aux changements qui n’ont pas dépendu d’eux, et d’en tirer le meilleur parti qu’ils peuvent. Quand sa majesté a entrepris les conversions, elle a cru pouvoir compter sûrement sur vingt années de trêve, c’était plus qu’il n’en fallait pour en venir à bout. Elle a été trompée ; ce qui devait durer vingt ans, n’en aduré que cinq. Ce n’est donc pas sa faute si elle n’a pas réussi, puisqu’il en eût fallu au moins douze ou quinze pour les achever ; et présentement qu’on peut dire l’entreprise impossible et d’une continuation très dangereuse, elle ne doit faire aucune difficulté de la rétracter, et j’ose même dire qu’il y aurait de la témérité de s’y opiniâtrer davantage, et de ne pas céder au temps dans une conjoncture aussi fâcheuse que celle-ci, puisque ce serait mépriser mal à propos les règles du bon sens et de la politique, qui veulent que les grands hommes s’y accommodent et sachent plier leur conduite selon les différents changements qui arrivent dans les États.
Pour conclusion, la gloire des actions ne se mesure point par le commencement de leur exécution, ni par le milieu, mais par la fin. Si le roi sort bien de cette guerre, tout ce qu’il aura fait pour parvenir à une bonne paix lui sera glorieux ; s’il en sort mal, toutes ses actions, quelque belles qu’elles puissent être, seront ternies et souffriront déchet, car l’injustice des hommes fait qu’il n’y a guère de gloire où il n’y a guère de bonheur.
Sa majesté doit enfin considérer que c’est la France en péril qui lui demande secours contre le mal qui la menace. Le mal est la guerre présente, ou plutôt cette conjuration générale de tous ses voisins unis et associés pour sa perte. C’est pourquoi, eu égard à l’importance de la chose, il paraît que le roi ne saurait rien faire de mieux que de passer par dessus toutes autres considérations, qu’il faudrait regarder comme frivoles et de nulle conséquence à comparaison de celle-ci, et de faire une déclaration dans toute la meilleure forme que faire se pourra, par laquelle sa majesté expose que « s’étant aperçue avec douleur du mauvais succès qu’ont eu les conversions et de l’opiniâtreté avec laquelle la plupart des nouveaux convertis se sont obstinés à persister dans la re-ligion prétendue réformée, nonobstant les abjurations qu’ils en ont faites et l’espoir apparent qu’on lui avait donné du contraire, sa majesté ne voulant plus que personne soit contraint dans sa religion et d’ailleurs pourvoir autant qu’à elle appartient, au repos de ses sujets, notamment ceux de la religion prétendue réformée, qui depuis quelque temps ont été contraints de professer la catholique ; après avoir recommandé la chose à Dieu, auquel seul appartient la conversion des cœurs, elle rétablit l’édit de Nantes, purement et simplement, au même état qu’il était ci-devant ; permettant à tous ses sujets, qui n’auront abjuré que par contrainte, de suivre celle des deux religions qu’il leur plaira ; de rétablir les temples dans la quantité permise par le même édit, donnant amnistie générale à tous ceux qui se sont absentés du royaume à l’occasion de ladite religion, même à ceux qui ont les armes contre elle pour le service de ses ennemis, et révoquant tout ce qui a été fait contre elle, de même que toutes les ordonnances, saisies, confiscations faites à l’occasion des désertions jusqu’à présent, remettant un chacun dans la pleine jouissance de ses biens, à commencer du jour de la publication des présentes pour ceux qui sont demeurés dans le royaume, et du jour de l’arrivée de ceux qui s’en sont absentés ; » y comprendre enfin tout ce qui peut leur rendre le repos, et ordonner par là même à tous gouverneurs de provinces, intendants, cours souveraines et subalternes, de tenir la main à l’exécution de cette déclaration, en tant qu’à eux appartiendra, et de leur faire rendre toute la justice possible, tout ainsi qu’autres sujets de sa majesté, sans aucune distinction. Et pour conclusion, faire cette déclaration [3] assez favorable pour qu’ils aient lieu d’en être contents, et qu’ils y puissent trouver le repos et leur sûreté, en sorte qu’ils ne soient pas nécessités de faire d’autres demandes. Il serait même très à propos de la faire précéder par faire sortir des galères et des prisons tous ceux qui y sont encore détenus pour cause de désobéissance ou rébellion, à l’occasion des conversions, et de les remettre en pleine liberté. [4]
Le premier bien qui arrivera de cette déclaration est que les peuples tourmentés par les contraintes, se voyant en repos et en état de rentrer dans la jouissance de leurs biens, le feront aussitôt savoir à leurs parents et amis hors du royaume, qui s’entre-avertiront les uns les autres, et pour lors tous ceux qui ont quelque chose, qui souffrent des mauvais traitements qu’ils reçoivent chez les étrangers, feront leur possible pour revenir ; et il faut compter bien sûrement qu’il ne demeurera parmi eux que ceux qui n’ayant ni feu ni lieu, ne sauraient où donner de la tête quand ils reviendraient en France.
De cette façon le roi recouvrera tout ou la plus grande partie de ses sujets dans peu de temps. La tranquillité se remettra dans le royaume, chacun ne songera qu’à rétablir ses affaires, et comme ils n’auront obligation qu’au roi de leur rétablissement, ils ne s’amuseront pas à rechercher des protections étrangères qui pourraient leur devenir funestes par les suites. Ainsi quand il s’agira d’un traité de paix, les protestants alliés ne seront plus en droit de demander la réhabilitation de l’édit de Nantes, puisque le roi l’aura fait, ni par conséquent des places de sûreté, et le calme étant remis en France, et la nouvelle de cette déclaration répandue chez nos voisins, les cantons suisses, présentement fort ébranlée, se réuniront à nous, et de durs et difficiles qu’ils sont sur toutes les demandes qu’on leur fait, ils deviendront faciles et traitables ; les princes de Brandebourg, de Saxe, Lunebourg et liesse, qui n’ont point de querelles particulières contre la France , mais bien un véritable sujet de jalousie des grandeurs où les dernières conquêtes de l’empereur ont élevé la maison d’Autriche, rentreraient bientôt dans leurs intérêts quand celui de la religion ne subsistera plus ; les Hollandais même qui, tout soumis qu’ils sont au prince d’Orange, voudraient bien en être défaits, ne mettront guère à chercher les moyens de se tirer de ses mains, quand le prétexte de la religion cessant, ils verront apparence de division entre les confédérés, ou d’en pouvoir tirer quelque avantage en faveur de leur commerce. Ce serait même encore un moyen de faire rentrer le roi de Suède dans nos intérêts, pourvu qu’on lui offrit satisfaction d’ailleurs.
Il est encore vrai de dire que cette déclaration mettrait le poignard dans le sein du prince d’Orange, parce qu’elle lui romprait la plus grande partie de ses mesures, lui qui ne compte réussir dans ses entreprises sur la France que par le secours qu’il espère de tirer d’elle-même par le moyen des huguenots, qui pour lors se donneront bien de garde d’avoir aucun commerce direct ou indirect avec lui. En un mot, mieux vaut un rappel sincère par les bonnes grâces du roi, que toutes les protections étrangères quelles qu’elles puissent être.
Cette déclaration me paraît l’un des plus grands et plus nécessaires coups d’État de ce temps, parce qu’elle couperait la principale racine qui unit les confédérés ; car, bien que ces gens-là publient que la guerre n’est pas une guerre de religion, elle ne laisse pas d’être sous-entendue telle entre eux, et ce n’est qu’aux catholiques alliés qu’on parle de la sorte, qui veulent bien faire semblant de le croire parce qu’ils ont des intérêts pressants et des passions qui s’y accommodent et qui sont plus fortes chez eux que les véritables sentiments de la religion. Il est donc bien certain, ce prétexte étant une fois levé de notre part, que bonne partie des confédérés ouvriraient les yeux, et que lorsqu’ils viendraient à découvrir que leurs intérêts et ceux de la maison d’Autriche sont si différents, beaucoup d’eux y feraient de sérieuses réflexions, et que tel qui paraît âpre et ardent à nous faire la guerre, serait le premier à parler de paix, spécialement si le roi offre de se mettre en état de ne plus donner d’inquiétude aux Allemands de l’autre côté du Rhin. Or, pour peu que les choses vinssent à balancer et que sa majesté se mit en état de pouvoir tirer les affaires en longueur, l’empereur, qui a tant d’intérêt à s’assurer des conquêtes qu’il a faites en Hongrie, donnerait peut-être les mains à la paix avec plus de facilité qu’on ne pense. Il me paraît enfin que cette déclaration aplanirait les plus grandes difficultés de la paix, préviendrait de très fâcheuses suites, et donnerait lieu à des accommodements particuliers avec les uns et les autres, qui nous conduiraient insensiblement aux généraux, auxquels il n’y a guère d’apparence que l’on puisse parvenir que très désavantageusement, tant que les choses continueront sur le pied ou elles sont présentement à l’égard des huguenots.
Il n’est pas impossible que quelqu’un, prévenu de la vénération due au Saint-Siège, pût craindre que la déclaration proposée en ce Mémoire ne fût mal reçue à Rome, et ne pût causer quelque nouvelle brouillerie entre le roi et sa sainteté. Il ne paraît cependant pas que cette considération y doive faire obstacle, Le pape Innocent XI prit si peu de part aux conversions des huguenots, qu’il y a beaucoup d’apparence que son successeur n’en prendra pas davantage à leur rappel, et, quand il le voudrait faire, ceci étant une affaire temporelle et purement politique où il va du Salut d’un État, dont Rome serait sans doute bien aise de savoir l’abaissement, il semble que le roi ne s’en doive pas faire une affaire. Supposé toutefois que le pape fût en droit d’intervenir dans cette affaire comme père et premier protecteur de la religion catholique, il semble que le roi y satisferait pleinement, si en lui parlant confidemment de son dessein, il lui faisait exposer par ses ambassadeurs la nécessité ou il est de pourvoir à la sûreté de son royaume, qui n’est pas en état de soutenir longtemps, lui seul, la guerre causée par la conjuration directe ou indirecte de toutes les puissances de l’Europe, et de nourrir dans soi le sujet d’une guerre intestine toujours prête à éclore, qui lui est d’une conséquence beaucoup plus dangereuse que celle du dehors, ce qui l’oblige avec déplaisir de recourir aux moyens les plus possibles pour se préparer un acheminement à la paix ; de quoi il l’a voulu cependant avertir avant que de prendre une résolution, afin que s’il a des moyens prompts et efficaces pour procurer une paix honorable à la France, sans être obligé à ce rappel, il ait la bonté de les lui déclarer et de les mettre incessamment en exécution ; que, s’il répond oui, c’est-à lui à les faire voir, sinon on pourra lui répondre : « Saint-Père, ne trouvez donc pas mauvais si le roi se sert de ceux qu’il a en main pour diminuer bien sûrement le nombre de ses ennemis. » Ensuite de quoi et faute de meilleur expédient de sa part, passer outre, et faire la déclaration dans toutes les formes requises sans y laisser de queue ; car ce serait bien sûrement par là que les ennemis tâcheraient de les retenir sous promesse de leur obtenir de meilleures conditions ; ce qu’il faut en toutes choses éviter, et plutôt ne rien faire du tout ; car il serait dangereux d’y faire d’autres restrictions que les spécifiées dans l’édit de Nantes.
Ce Mémoire ayant été relu et examiné plusieurs fois depuis deux ans et demi qu’il est fait, on n’y a rien trouvé qui dût être retranché ; eu égard à l’état des affaires présentes de ce royaume, on a cru même devoir y ajouter les additions suivantes pour lui tenir lieu de supplément. [5]
Il faut tenir pour certain et très constant que les conversions n’ont été qu’apparentes, et que, de cent convertis, il n’y en a peut-être pas deux qui le soient de bonne foi, tous les autres sont catholiques en apparence et huguenots en effet ; qui, n’allant pas à l’église, scandalisent dangereusement les catholiques et tous ceux qui les ont vus abjurer ; et ceux qui y vont, ne le faisant pas de bonne foi, commettent des sacrilèges autant de fois qu’ils se présentent à l’usage des sacrements, chose horrible et qui se pratique cependant partout où il y a de nouveaux convertis, d’autant plus facilement que la plupart d’entre eux croient le pouvoir faire par des considérations temporelles, et sans commettre de crimes, parce qu’ils n’y ont pas de foi. Ainsi le roi, avec les meilleures intentions, se trouve, sans y penser, l’auteur de ce qui peut s’imaginer de plus mauvais dans la religion. [6] Les conversions forcées ne sont donc qu’apparentes, et les huguenots, les mêmes qu’ils étaient auparavant ; en ce cas, il ne se peut qu’ils ne soient dans une grande contrainte et qu’ils n’aient par conséquent une aversion extrême pour ce qui les contraint présentement et ce qui les doit contraindre à l’avenir. Or, ce qui les doit contraindre, c’est le roi, tant qu’il persévèrera à leur tenir rigueur sur le fait de la religion, attendu que s’il vient à faire une paix où ils ne soient pas avantageusement compris, ou que sa majesté ne les ait pas rappelés auparavant, il est à présumer qu’elle ne les laissera pas en repos, le peu de tolérance que l’on a pour eux ne pouvant être expliqué que comme un relâchement en faveur de la guerre présente, qui venant à cesser, les contraintes recommenceront avec plus de chaleur que jamais ; c’est ce qui leur parait évident et dont pas un d’eux ne doute, et c’est aussi ce qui leur fait désirer avec passion le rappel ou la continuation de la guerre et l’abaissement du roi et de ce royaume, jusqu’à ce qu’il soit contraint de leur accorder des conditions qui leur fassent trouver cette sûreté tant désirée, dans ses bonnes grâces ou dans son impuissance à leur faire du mal, situation vraiment malheureuse dans un État, quand bonne partie de ses sujets sont réduits à ne pouvoir trouver de bonheur ni de félicité que dans la ruine ou l’abaissement de leur souverain et des autres sujets leurs compatriotes, parents et amis.
Le soutien des conversions forcées ne peut être d’aucune utilité au royaume, pas même à la religion catholique qui n’en serait que plus négligée s’il n’y avait plus de religionnaires : il n’y a qu’à remonter jusqu’au règne de François Ier, et voir ce qu’étaient les ecclésiastiques de ce temps-là, leurs mœurs et leur doctrine
La persévérance des conversions nourrit une infinité d’ennemis cachés très dangereux, dans le cœur de l’État, que l’on ne connaît pas. Un rappel favorable les ramènera au devoir ou les fera découvrir bien certainement.
Cette même persévérance ne peut manquer d’entretenir autant d’amis fidèles au prince d’Orange qu’il y a de conversions forcées dans le royaume, qui lui désirent toutes prospérités et qui sont prêts à lui rendre tous les services qui peuvent dépendre d’eux, toutes les fois qu’ils pourront prendre leurs avantages pour cela. Le prince d’Orange est ennemi du roi et de toute la France ; il est puissamment armé contre elle ; assisté des forces et de l’argent de toutes les puissances de l’Europe, directement ou indirectement, que sera-ce donc si, pénétrant le royaume par terre ou par mer, les huguenots peuvent une fois lever le masque impunément et se joindre à lui ? Il est vrai que ces mêmes huguenots ne sont pas assez puissants dans le royaume pour entrer prendre quelque chose de considérable d’eux-mêmes ; mais ils le sont assez pour pouvoir assister puissamment l’ennemi, s’il avait remporté quelque avantage considérable sur nous.
Or cet ennemi est dans l’action et agit puissamment pour parvenir à cet avantage, et on ne doit pas douter qu’ils ne soient disposés à se joindre à lui à la première occasion qui se présentera, d’autant plus dangereusement que leur déclaration ne saurait manquer d’être suivie d’une guerre dans toutes les parties du royaume, capable de ruiner tout d’un coup ce que le roi a fait depuis trente ans avec tant de peines et de dépenses, et de bouleverser l’État sans dessus dessous. En voilà assez pour convenir : 1° de l’évidence des maux dont nous sommes menacés par la continuation des contraintes, et 2° de la nécessité très pressante d’y remédier plus tôt que plus tard, pendant que le roi est en état de choisir et de tourner cela comme il lui plaira. De remède il n’y en a point d’autre que celui de les exterminer ou de les contenter ; la pensée seule du premier est exécrable et fait horreur, étant directement contraire à toutes les vertus morales, civiles et politiques ; celle de les contenter est bonne, honnête et pleine de charité, et c’est à quoi on parviendra en suivant l’intention de ce Mémoire au pied de la lettre, sans restriction, rien n’étant plus dangereux que de faire les choses à demi en cas pareil, n’en déplaise à ceux qui cherchent des modifications où il n’en faut pas.
RÉFLEXION.
Quelques-uns pourraient douter si le rappel des huguenots dans la manière proposée en ce Mémoire serait un moyen bien sûr pour se les concilier et pour lever les défiances qu’on doit avoir d’eux ; il est aisé de résoudre cette question :
1° Il est certain que tous les véritables huguenots se connaîtront pour lors de même que les véritablement convertis; qui est déjà un grand avantage ; car on peut dire que l’on n’y connaît plus rien présentement.
2° Que tous ceux qui ont du bien seront sages de peur de se commettre ; ce qui affaiblira extrêmement le parti des esprits remuants ;
3° Que de ceux qui en ont peu ou point, la plus grande partie prendront emploi dans les troupes et que ceux qui pourraient conserver de la mauvaise volonté ne seront pas assez forts pour la mettre en évidence. D’ailleurs il sera aisé d’en savoir le nombre et la demeure et de juger conséquemment de ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas ;
4° Qu’ils se donneront bien de garde d’avoir recours aux protections étrangères quand ils pourront être rétablis par le seul effet des bontés du roi ; car la réhabilitation de l’édit de Nantes leur paraîtra un véritable retour auquel ils prendront plus de confiance qu’à tout ce qui pourrait leur être procuré par un traité de paix. De plus, il y a des gens éclairés parmi eux qui, comprenant le mal qui leur arriverait infailliblement par les suites, si ce rétablissement faisait partie d’un traité de paix ou qu’il leur fût procuré par des médiations étrangères, se donneront bien de garde de rien écouter de ce côté tant qu’il y aura lieu de l’espérer des bonnes grâces du roi ; la raison est que toute guerre présuppose une paix qui, quelque avantageuse qu’elle puisse être à leur parti, n’irait jamais à pouvoir l’égaler à celui du roi, qui tôt ou tard les accablerait par le seul intérêt qu’il aurait à le faire ; au lieu que n’étant distingués des autres sujets que par la différence des religions dont l’exercice leur aura été permis par le roi, sa majesté ne fera aucune différence d’eux à ses autres sujets.
Il est de plus à présumer que les gens aisés, comme les plus sages, contiendront les autres ou donneront avis de leur conduite, s’ils leur en connaissent de mauvaise, pour ne pas se faire des affaires à eux-mêmes ; d’ailleurs le Français aime peu et ne sait pas haïr, et les traitements durs et peu charitables que les réfugiés ont trouvés chez les étrangers leur en ont donné un grand dégoût, et leur font ordinairement désirer le retour à la patrie où ils ne manqueront pas d’instruire Ceux qu’ils y ont laissés de leurs peines et de leurs souffrances.
J’ai ouï dire à gens fort savants dans les affaires des huguenots qu’avant les conversions forcées, leur nombre n’allait pas à plus de 600 000 personnes de tous âges et de tout sexe. Il y en a peut-être 80 à 400 000 de sorties du royaume, reste à 500 000 dont il y a bien sûrement quelques-uns de véritablement convertis, ou qui se seront fait un point d’honneur de ne plus retourner au prêche comme beaucoup d’autres s’en sont fait de ne point abjurer. Supposé que cela aille à 40 000 âmes, il s’y on trouvera bien autant d’invalides, comme aveugles, boiteux, manchots, estropiés, tombant du haut mal, et autres infirmités corporelles, qui rendent les gens impropres à la guerre, dont on trouve au moins un entre 40 ou 50 hommes des plus sains ; reste à faire état de 480 000 personnes dont il faut ôter la moitié pour les femmes et filles ; reste 240 000 dont il faut encore la moitié pour les enfants au-dessous de dix-sept ans et les vieillards au-dessus de cinquante, restera 120,000 hommes depuis dix-sept jusqu’à cinquante ans que nous supposons l’âge propre à porter les armes. De ce nombre il est bien sûr qu’il y en aura plus de la moitié ou les deux tiers qui se trouveront d’une profession très éloignée de celle des armes ; reste donc à faire état de 60 000 hommes au plus, desquels il y en aura au moins un tiers dans les troupes du roi où il y en a déjà bonne quantité ; le surplus montant à 40 000 hommes ou environ, étant répandu dans toutes les parties du royaume, sans tête et sans corps, ne méritera pas qu’on en fasse état, ni qu’on en prenne d’inquiétude.
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[1] La trêve de Ratisbonne devait durer vingt ans. Elle avait été conclue le 20 juin 1684
[2] Le grand Constantin, persuadé des vérités de la religion chrétienne, souhaitait que tous ses sujets fussent chrétiens, mais il avouait en même temps qu’il n’était pas en son pouvoir de les y contraindre et que la religion se devait persuader et non commander. (note de l’auteur)
[3] Le préambule de cette déclaration pourrait être comme le suivant :
« Les grands obstacles que tous les princes de l’Europe, sans en excepter les catholiques, ont apportés pour empêcher l’exécution de l’édit que nous avons fait publier pour réunir à l’Église romaine nos sujets de la religion prétendue réformée, et les malheurs où les ennemis de la France les exposent tous les jours pour les faire périr après leur avoir donné retraite, sous prétexte de les vouloir protéger ; ému de pitié et touché du déplorable état où ils se trouvent réduits dans les pays étrangers, nous avons pensé sérieusement aux remèdes que nous pourrions apporter à leurs maux qui sont extrêmes, après avoir pourvu à la sûreté de l’État et fait ressentir, à ceux qui en voulaient troubler la prospérité, la peine et le châtiment qu’ils méritaient, et ayant considéré que tant que l’exercice de la religion prétendue réformée sera défendu dans notre royaume, ceux qui les amusent auront un prétexte spéciaux de les retenir en les entretenant par de vaines espérances, que la conversion des hérétiques est d’autant plus l’ouvrage de Dieu qu’il laisse les hommes dans la main de leur conseil, en leur donnant le libre arbitre ; qu’il ne veut pas qu’on force, mais persuade ; que l’obstination où nous les voyons nous fait croire que le temps de leur persuader la vérité n’est pas encore venu, et qu’après que nous avons donné à Dieu et à l’Église des preuves de notre zèle pour la propagation de la foi, on peut tolérer, sans blesser notre conscience, quelques hérésies pour éprouver les justes, puisque l’Évangile nous apprend qu’elles sont nécessaires à cet effet.
« À ces causes nous permettons, par cette déclaration, l’exercice libre de la prétendue religion réformée de la manière qu’elle s’exerçait avant l’édit du 22 octobre 1685, qui la leur détend, laissant à la Providence le soin du salut de ceux qui n’ont pas voulu profiter de nos bonnes intentions, pour ne penser qu’à remédier à leurs misères présentes et au gouvernement temporel de l’État dont nous sommes uniquement chargé. » (note de l’auteur)
[4] Ce serait une erreur très grossière de croire que les contraintes puissent anéantir la religion prétendue réformée en France ; il y a plus de cent vingt ans que l’exercice de la religion catholique n’est plus permis en Angleterre, et cependant il y a encore assez de catholiques pour donner souvent de l’inquiétude aux protestants.
L’exemple des Morisques peut encore ici trouver lieu, car bien que la religion mahométane soit établie sur des principes très grossiers et aisés à détruire, les rois d’Espagne n’en purent jamais venir à bout, après bien des guerres et des révoltes à cette occasion, qu’en les chassant absolument de leurs États ; point fatal à la décadence de cette monarchie qui depuis n’a fait que déchoir ; tant il est vrai que la grandeur des rois se mesure par le nombre des sujets et non par l’étendue des États. (note de l’auteur)
[5] Sous le titre de Réflexions sur la guerre présente et sur les nouveaux convertis, Vauban fit, à la date du 5 mai 1695, une nouvelle addition à son mémoire, dans laquelle il reproduit à si peu de chose près les mêmes idées en faveur du rappel des huguenots, que nous n’avons pas cru devoir l’insérer ici.
[6] Le roi a travaillé près de trente ans à la conversion des huguenots avec application et dépenses, ce qui lui en a ramené insensiblement, par des voies douces et bienfaisantes, plus d’un quart. Du moment qu’on a usé de contraintes, tel qui n’avait que peu ou point de religion, s’est avisé d’en avoir ; tout s’est élevé et l’on n’a plus converti personne.
Pour preuve de ce que dessus, gens qui le savent bien m’ont assuré qu’il n’y avait que le quart de catholiques à la Rochelle vers les années 1661, 1662, 1663, et que dans l’année 1687, il n’y avait plus que le quart ou le tiers au plus des huguenots. On dit la même chose ou à peu près de Nîmes et de Montpellier. (note de l’auteur)
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