Traduit par Stéphane Mozejka, Institut Coppet
Robert Blumen, un développeur de logiciels avec une expérience en applications financières, a récemment évoqué avec le Mises Institute l’influence croissante de l’école autrichienne auprès des investisseurs. Blumen, qui vit à San Francisco, a un diplôme de physique à l’Université de Stanford et écrit fréquemment pour mises.org, LewRockwell.com et d’autres sites. Il a participé à des conférences économiques et financières sur l’école autrichienne, et est l’éditeur du podcast Software Engineering Radio.
Mises Institute : Ces dernières années, nous avons vu de plus en plus d’analyses économiques inspirées par l’école autrichienne de la part d’investisseurs comme Mark Spitznagel et Jim Rogers, pour n’en nommer que deux. Étant vous-même personnellement impliqué dans le monde de l’investissement, avez-vous assisté à une croissance de la popularité des idées autrichiennes auprès des investisseurs et des professions similaires ?
Robert Blumen : C’est vrai qu’il y a eu une formidable augmentation de l’intérêt pour l’école autrichienne auprès des professionnels de la finance. J’ai tout d’abord créé un groupe pour regrouper les Autrichiens du monde de la finance sur LinkedIn, et il a atteint presque 2000 membres en quelques années, en provenance des États-Unis, d’Amérique du Sud, d’Asie de l’Est, d’Asie centrale et d’Asie du Sud, d’Afrique et d’Europe de l’Est et de l’Ouest. Peter Schiff apparaît également assez régulièrement dans des émissions financières. Enfin, le Mises Institute a attiré des centaines de personnes du monde de l’investissement lors d’un événement à Manhattan.
En plus de cela, depuis 2002, un certain nombre d’ouvrages en économie financière sur le thème de l’école autrichienne sont sortis. Et en même temps que des ouvrages par des auteurs établis comme James Grant, nous avons eu la sortie du livre Paper Money Collapse de Detlev Schlichter, et plusieurs livres de Peter Schiff. Nous avons également de nombreux blogueurs « autrichiens » populaires comme Grant Smith et Robert Wenzel. Et pour terminer, plus de deux millions de personnes ont vu une vidéo de 2006 dans laquelle une parade d’éditorialistes médiatiques condescendants ont tourné en ridicule Peter Schiff, qui ne leur a pas retourné leur suffisance dans leur figure – et c’est tout à son honneur.
MI : Est-ce que la crise financière de 2008 a aidé à attirer la sympathie pour l’école autrichienne ?
RB : J’ai entendu la même histoire auprès de nombreuses personnes dans la finance. Quand la récession de 2000 (ou de 2008) s’est produite, elle ne correspondait pas à qu’elles avaient apprises dans les écoles, et elle ne pouvait pas non plus être expliquée par les systèmes de croyance de leurs collègues dans les marchés financiers. Leur démarche a donc été de lire, de chercher des réponses, et donc de découvrir les écrits de Mises, Hayek ou Rothbard, qui pouvaient alors donner du sens à ce qui s’était produit.
Pour répondre à votre question, oui, je pense que l’échec des théories économiques populaires – mis en évidence par ces crises inexplicables – a conduit de nombreuses personnes à chercher des idées plus convaincantes. Le Mises Institute publie depuis de nombreuses années, expliquant ces cycles d’expansions et de ralentissements par l’école autrichienne d’économie. En cherchant, de nombreuses personnes finissaient par tomber sur le site mises.org.
MI : En dépit d’une croissance terne sur Main Street, Wall Street apparaît assez satisfait avec la croissance des deux dernières années. Pour l’observateur lambda, on pourrait dire que la Fed a bien géré les choses. Que voyez-vous de problématique avec l’approche actuelle, et y-a-t-il des sceptiques dans le monde de la finance face à la stratégie actuelle de la Fed ?
RB : La Fed a une série de théories erronées qui soutiennent leur croyance que la hausse du prix des actions indique le succès de leurs politiques.
La première est de penser que les prix des actifs sont une richesse réelle, alors qu’ils ne sont que les prix des biens d’investissement, qui sont une forme de richesse réelle. Les prix des actifs, en termes réels, sont les ratios d’échange entre les biens de consommation et les biens d’investissement. Des prix des actifs artificiellement gonflés signifient seulement que les propriétaires des actifs qui les ont achetés à des prix plus bas ont augmenté leurs possibilités de consommation par rapport à ceux qui ne possèdent pas d’actifs. Les propriétaires de la plupart des actifs, les supposés « 1 pour cent », sont les bénéficiaires des politiques de la Fed.
Il n’y a de bénéfique économique systémique à aucune valeur particulière pour les prix des actions. Sinon, les jeunes qui épargnent pour l’avenir, et les entrepreneurs qui cherchent à récupérer des biens d’investissement à un prix avantageux, trouveraient que des prix plus bas pour les actions seraient une meilleure affaire pour eux. C’est la même chose pour n’importe quel bien.
Leur seconde erreur est de penser que la hausse du prix des actions crée un « effet richesse », de telle sorte que les gens voient la valeur de leurs actifs augmenter, se sentent plus riches, et par conséquent épargnent moins et dépensent plus. Leur but est de booster la consommation en augmentant les prix des actifs. En tant que keynésiens, ils sont tous en faveur de cette politique car ils pensent que la consommation détermine la production.
La pensée économique sérieuse reconnaît, depuis au moins l’école classique, que la production doit précéder la consommation, et que la production détermine la demande, pas l’inverse. La Fed n’y comprend rien car elle ne comprend pas l’objectif des biens d’investissement dans le processus de production, à savoir l’accroissement de la productivité du travail.
La Fed croit aussi à un effet richesse à propos des prix de l’immobilier, ce qui est sans doute un sophisme encore plus énorme, car l’immobilier est un bien de consommation. Une élévation du niveau de vie signifie que nous pouvons acheter des biens de consommation à des prix réels plus bas au fil du temps, et non pas plus hauts.
Et enfin, la Fed voit les marchés financiers comme une sorte de référendum public pour ses politiques. Elle pointe le marché financier et dit « regardez, le marché approuve ce que nous sommes en train de faire ». Mais quand on réalise qu’au travers de son expansionnisme monétaire, la Fed elle-même est responsable de la hausse des marchés financiers, cela pose la question de savoir si nous pouvons utiliser ce paramètre comme une mesure indépendante de l’opinion publique, ou si au contraire, la Fed ne vote pas pour elle-même avec la monnaie qu’elle imprime.
Ceux qui parlent de la finance et qui connaissent l’école autrichienne savent cela. Il y a des centaines de blogs et de sites d’opinion dans la mouvance autrichienne, et d’excellents sites hétérodoxes qui ont une vision économique compatible avec l’école autrichienne, comme Zero Hedge, Jim Rickards, Marc Faber, et Fofoa.
MI : Nous avons jusqu’à présent essentiellement parlé des États-Unis, mais de manière globale, voyez vous des zones qui suscitent des inquiétudes particulières, comme la Chine ou la zone euro ?
RB : L’allocation du crédit en Chine n’est pas basée sur les règles du marché. La Chine importe l’inflation de la Fed à travers leur monnaie-étalon (NdT : taux de change fixe entre le dollar et une autre monnaie) qui détourne les dollars vers leurs fonds souverains où ils sont « investis » par des bureaucrates en différentes formes d’actifs de la zone dollar. L’épargne domestique va dans leur système bancaire, où elle est gaspillée dans des projets soutenus par les politiques, parce que l’allocation du crédit bancaire n’obéit pas aux règles du marché. Le système dans son ensemble connaît une série de bulles dans l’immobilier et d’autres secteurs.
Le taux de dépenses d’infrastructures de la Chine par rapport à d’autres économies comparables est deux fois supérieur à la normale. Cela s’explique parce que les hauts fonctionnaires du parti communiste sont sous forte pression pour dépasser les objectifs de PIB – comme si la prospérité pouvait devenir une réalité en dépassant un nombre. Les infrastructures telles que les routes et des villes-fantôme présentent une opportunité de dépenser un montant considérable de monnaie, tout au même endroit, dans de nombreux projets incohérents qui, selon un calcul économique fondé sur l’économie de marché, se seraient révélés comme du gaspillage.
Les problèmes en Europe sont une combinaison de dettes massives qui ne pourront jamais être remboursées, d’engagements non provisionnés, et d’augmentation des contraintes qui pèsent sur les producteurs, un thème que j’ai abordé lors d’un récent article sur le Mises Daily à propos de la loi de Say. Ces contraintes consistent en un ensemble de règles, de taxes, de prix et de marchés du travail rigides, et de menace de la confiscation des richesses. Si vous projetez ces tendances dans un futur proche, je ne suis pas sûr de l’endroit où les courbes se croiseront, mais le système est clairement insoutenable dans sa forme actuelle car il repose sur le maintien des niveaux actuels de consommation, alors que de moins en moins de personnes produisent.
Article paru en anglais dans The Free Market de mai 2014, publié par le Mises Institute sous la licence Creative Commons.