Par Damien Theillier, président de l’Institut Coppet
Dans un article intitulé « The Political Principle of Liberty », extrait du livre Why Liberty?*, Alexander McCobin, président-fondateur de l’organisation Students for Liberty, aborde la question de la nature du libertarianisme. Ce dernier terme est le nom contemporain qui désigne aux États-Unis le libéralisme classique. Nous avons choisi ici de conserver ce néologisme pour en préciser les contours. Je vais donc résumer cet article fort intéressant mais pas encore traduit pour le lecteur français.
Le libertarianisme, nous dit McCobin, n’est pas une philosophie globale qui aurait réponse à tout, qui nous donnerait le sens de l’existence, de la vérité, de l’art et de l’amour. C’est une philosophie sociale et politique qui cherche à expliquer comment les gens devraient se comporter les uns vis-à-vis des autres. C’est une philosophie politique et juridique, non une philosophie éthique. L’éthique nous dit comment mener une vie bonne, conforme au bien. La philosophie politique nous dit comment être justes à l’égard des autres. Elle se préoccupe donc des lois, de leur objet, de leur nature et de leurs limites.
Ainsi, on peut condamner quelqu’un pour sa conduite scandaleuse, immorale ou vulgaire tout en défendant le droit de cette personne à se comporter de cette façon, tant que son comportement ne viole pas les droits d’autrui.
La liberté est donc un principe qui rend possible la coexistence de nombreuses philosophies de la vie et de l’éthique, dans un cadre d’interactions sociales volontaires ou personne ne vole personne. Les individus peuvent adopter le libertarianisme en raison de philosophies de la vie ou de valeurs tout à fait divergentes : l’épanouissement humain, l’autonomie, la raison, le bonheur, les préceptes religieux, la sympathie ou l’utilité.
Tout comme il peut y avoir plusieurs types de justifications d’un principe, il peut y avoir également des variations entre les libertariens sur les politiques à mener, c’est-à-dire sur la manière d’appliquer le principe de la liberté.
Il y a ainsi des débats ouverts entre libertariens sur de nombreux sujets :
– les brevets et les droits d’auteur (sont-ils des droits de propriété fondés sur la créativité ou des monopoles cachés ?) ;
– la peine de mort pour les meurtriers (est-elle une juste rétribution ou un pouvoir dangereux ?) ;
– l’avortement (y a-t-il deux sujets de droits impliqués, ou seulement un seul ?) ;
– la fiscalité (est-elle purement et simplement du vol, ou des frais à payer pour des services utiles comme la défense ? ) ;
– et même le mariage gay (l’État devrait-il empêcher la discrimination contre les homosexuels, ou devrait-il tout simplement laisser le mariage au marché libre ?).
Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de politiques libertariennes : les lois contre l’assassinat, le viol et l’esclavage sont fondamentales à tout système juridique civilisé. Elles devraient même s’appliquer à tous les gouvernements. Néanmoins, il n’est pas toujours évident de savoir quelles politiques spécifiques sont nécessaires pour faire respecter ces lois générales. Là encore, des gens raisonnables peuvent être en désaccord. Par exemple, la façon dont un gouvernement doit garantir la sécurité contre le terrorisme fait l’objet de débats.
Conclusion
Les libertariens sont des gens issus de toutes les confessions religieuses ou philosophiques, partisans d’une grande variété de modes de vie, d’origines ethniques et de groupes linguistiques divers. Le libertarianisme ne nécessite pas l’unanimité sur tout. La raison pour laquelle une personne défend le principe de la liberté égale pour tous peut varier. Un libertarien peut également être en désaccord avec un autre sur les prescriptions politiques les plus appropriées pour faire appliquer ce principe dans le monde. Mais tous souscrivent au principe commun de la liberté égale pour tous. Tous sont unis pour combattre les lois sur les crimes sans victime, s’opposer à la tyrannie, défendre la liberté du commerce et de l’entreprise, s’opposer à la violence agressive.
Le livre d’où est extrait cet article d’Alexander McCobin, Why liberty? , est une introduction générale et multidisciplinaire à la puissance transformatrice de la liberté pour l’individu comme pour la société. Il traite de la liberté non seulement d’un point de vue politique, mais aussi au travers du prisme de la culture, de l’entrepreneuriat, de la santé, de l’art, de la technologie et de la philosophie.
*Table des matières du livre :
1.Why Be Libertarian, by Tom Palmer
2.There Ought NOT to Be a Law, by John Stossel
3.Libertarianism as Radical Centrism, by Clark Ruper
4.The History and Structure of Libertarian Thought, by Tom Palmer
5.“The Times, They Are A-Changin’”: Libertarianism as Abolitionism, by JamesPadilioni, Jr.
6.The Political Principle of Liberty, by Alexander McCobin
7.No Liberty, No Art: No Art, No Liberty, by Sarah Skwire
8.The Humble Case for Liberty, by Aaron Ross Powell
9.Africa’s Promise of Liberty, by Olumayowa Okediran
10.The Tangled Dynamics of State Interventionism: The Case of Health Care, by Sloane Frost
11.How Do You Know? Knowledge and the Presumption of Liberty, by Lode Cossaerand Maarten Wegge
12.The Origins of State and Government, by Tom Palmer
Télécharger le livre en anglais
Télécharger le 1er chapitre : Why be libertarian? By Tom Palmer.
À voir également : un entretien avec Alexander McCobin (en anglais)
“L’éthique nous dit comment mener une vie bonne, conforme au bien. La philosophie politique nous dit comment être justes à l’égard des autres.”
Mais s’il est bien d’être juste, ou juste d’être bon, peut-on séparer ainsi éthique et politique ?
Non, il faut distinguer pour unir bien sûr ! Mais je te rappelle tout de même cette formule de S. Thomas : “La loi humaine a été conçue pour la masse des hommes, et la plupart d’entre eux ne sont pas parfaits en vertu. C’est pourquoi la loi humaine ne prohibe pas tous les vices dont les hommes vertueux s’abstiennent ; mais uniquement les plus graves, dont il est possible à la majeure partie des gens de s’abstenir ; et spécialement ceux qui nuisent à autrui. Sans la prohibition de ces vices-là, en effet, la vie en société serait impossible pour l’humanité ; aussi interdit-on, par la loi humaine, les assassinats, les vols et les autres crimes de ce genre”. 1A-2AE, LA LOI, QUESTION 96
Autrement dit la loi ne peut réprimer tous les vices, ni imposer la vertu.
Ici saint Thomas distingue, là où ton texte me semble opposer et séparer. Ainsi lorsque tu écris
“on peut condamner quelqu’un pour sa conduite scandaleuse, immorale ou vulgaire tout en défendant le droit de cette personne à se comporter de cette façon, tant que son comportement ne viole pas les droits d’autrui.”,
il me semble que tu vas un peu plus loin que saint Thomas dans la séparation de l’éthique et du droit.
Cependant ce n’est pas tout à fait la question, car il s’agissait plutôt de la préoccupation morale du politique, et non pas seulement de l’intention morale du droit.
Or 1) il me semble que tout droit positif relève au fond d’une intention morale : par exemple un feu rouge relève de l’intention morale de préserver la vie d’autrui.
2) Si la finalité de la vie politique est le bien commun, et que la vie selon la vertu est condition d’une vie bonne, il me semble que le politique ne peut se contenter de “ce qui ne nuit pas à autrui
3) Dans le texte que tu cites, saint Thomas ne dit pas “seulement ce qui nuit à autrui” mais “notamment ce qui nuit à autrui”, car il est des injustices qui peuvent ne nuire à personne.
Ainsi en étant d’accord sur le fait que ” la loi ne peut réprimer tous les vices, ni imposer la vertu”, je crois que tu es amené à cloisonner un peu trop la loi (qui n’est pas le tout du politique) et la vertu.
Ce qui ne nuit pas à autrui peut nuire à soi-même. Mais la question alors est de savoir si la loi doit empêcher les gens de se nuire à eux-mêmes… Et là on ne peut pas raisonner dans l’abstrait, il faut tenir compte du réel. Dans une société pluraliste comme la notre, de facto, cela reviendrait à instaurer une société paternaliste et autoritaire qui irait à l’encontre du bien commun justement… Il faut distinguer la thèse et l’hypothèse mon cher (tu connais Mgr Dupanloup ?)