Les droits de l’homme : protection des libertés ou menace ? Par Damien Theillier

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Par Damien Theillier

Les droits de l’homme protègent-ils nos libertés ou les menacent-ils ? Une telle question peut paraître surprenante. Comment les droits de l’homme pourraient-il constituer une menace ? Ne trouve-t-on pas au contraire, dès l’article 2 de la Déclaration de 1789, cette idée que le but de toute association politique est la conservation des droits imprescriptibles de l’homme, dont le droit à la propriété ? Et ne lit-on pas également à l’article 17 que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé » ?

Où est donc le problème ? C’est Benjamin Constant qui nous a appris à y voir plus clair, comme nous le montrerons plus bas. Le problème, dit-il, est qu’il ne suffit pas de garantir les libertés individuelle conte les empiétements d’autrui. Il faut aussi les garantir contre les empiètements de la législation, c’est-à-dire des décisions collectives qui peuvent résulter d’un vote à la majorité. Or, quand on regarde de près la Déclaration de 1789, elle est truffée d’articles qui conditionnent le respect des libertés individuelles au bon vouloir de la loi.

À l’origine de la Déclaration de 1789

La Fayette fut élu député de la noblesse de Riom aux états généraux. Dès le 11 juillet 1789, à l’Assemblée nationale, il présenta un projet de Déclaration européenne des droits de l’homme et du citoyen, inspiré de la Déclaration d’indépendance américaine de 1776.

Le projet de La Fayette a été repris dans la version finale, souvent dans les mêmes termes. Cependant, quelques articles ont été altérés par des additions qui redonnent à l’État un pouvoir que la déclaration initiale cherchait précisément à éviter[1].

En voici un exemple. Un des articles de La Fayette disait : « L’exercice des droits naturels n’a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société ».

Dans la déclaration finale, ce même article devient :

Art. 4. L’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

Cette dernière phrase change tout. Elle redonne à la loi et donc à l’État le pouvoir illimité de définir les bornes de la liberté et donc de la propriété. La Fayette, isolé dans la commission établie par la Constituante pour préparer la Déclaration des droits, n’a pas pu s’y opposer.

Autres difficultés :

Art. 3. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Art. 6. La Loi est l’expression de la volonté générale.

Malheureusement, ces articles sont vagues et il est possible d’en faire une interprétation désastreuse. Ainsi, avec Rousseau, on a voulu croire que la nation ou la volonté générale avait un pouvoir illimité et que ce pouvoir justifiait tout. De ce que le peuple gouverne, on a conclu qu’il avait tous les droits. C’est précisément le reproche que fait Benjamin Constant à Rousseau : « En transportant dans nos temps modernes une étendue de pouvoir social, de souveraineté collective qui appartenait à d’autres siècles, ce génie sublime qu’animait l’amour le plus pur de la liberté, a fourni néanmoins de funestes prétextes à plus d’un genre de tyrannie », écrit Constant.

Il en va de même concernant la protection de la liberté de religion, d’expression et de la presse ou ces droits individuels ne sont que des variables assujetties à la loi, c’est-à-dire aux décisions collectives d’une assemblée.

On lit dans la Déclaration des droits de l’homme :

Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi.

Ces articles indiquent qu’on peut dire ou faire tout ce qui n’est pas contre la loi. Mais ils ne protègent en rien la liberté individuelle contre l’arbitraire d’une majorité ou de groupes de pression bien organisés. Une véritable protection de la liberté consisterait donc à exiger le silence de la loi et non la soumission à une loi.

Le Bill of Rights américain

Tel est précisément le cas du Bill of Rights, écrit moins d’un mois plus tard, en septembre 1789. Voici le premier amendement apporté à la Constitution des États-Unis d’Amérique :

Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, aucune loi qui interdise le libre exercice d’une religion, aucune loi qui restreigne la liberté d’expression, ni la liberté de la presse, ni le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d’adresser à l’État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis .

On trouve dans cette formulation une protection explicite contre la tyrannie de la majorité. La règle qui est posée ici n’est pas de « ne pas enfreindre la loi », mais de « ne pas faire de loi ». Les choix individuels sont ici clairement protégés contre l’ingérence possible d’un gouvernement, même dans les cas où la majorité serait en désaccord avec ces choix[2].

De même, dans la Déclaration d’indépendance de 1776, on trouve cette formule : « Tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur ». La Déclaration américaine reconnaît et proclame publiquement que le Créateur est la source des droits de l’homme et, ce faisant, elle nie implicitement que l’État soit la source des droits de l’homme. Ce n’est pas l’État qui est souverain, c’est l’individu, doté par son Créateur de droits inaliénables. On est bien loin de l’esprit, comme de la lettre, de la Déclaration française.

La tyrannie législative selon Benjamin Constant

Nul mieux que Benjamin Constant, n’a formulé cet impératif catégorique du silence de la loi :

Le législateur n’a pas le privilège de distinguer mieux que les individus soumis à son pouvoir ce qui est nuisible et ce qui est avantageux (…) Toutes les fois qu’il n’y a pas nécessité absolue, que la législation peut ne pas intervenir sans que la société soit bouleversée … il faut que la loi s’abstienne, laisse faire et se taise [3].

Dans son Commentaire sur un ouvrage de Filangieri, Constant fustige la tyrannie législative :

Étendre sur tous les objets la compétence de la loi, c’est organiser la tyrannie (…) Si c’est la législation qui fixe les droits de chaque individu, les individus n’ont plus que les droits que la législation veut bien leur laisser (…) Il y a une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante – et qui est de droit hors de toute compétence sociale ou législative (…) Au point où commence l’indépendance de l’existence individuelle s’arrête l’autorité de la législation ; et si la législation franchit cette ligne, elle est usurpatrice. Dans la partie de l’existence humaine qui doit rester indépendante de la législation résident les droits individuels, droits auxquels la législation ne doit jamais toucher, droits sur lesquels la société n’a pas de juridiction, droits qu’elle ne peut envahir sans se rendre coupable de tyrannie[4].

C’est pourquoi l’autorité de la loi doit rester limitée. Lorsque cette autorité s’étend sur des objets hors de sa sphère, elle devient illégitime.

Concluons avec Benjamin Constant :

Aucun devoir ne nous lie envers des lois telles que celles que l’on faisait, par exemple, en 1793, ou même plus tard, et dont l’influence corruptrice menace les plus nobles parties de notre existence. Aucun devoir ne nous lierait envers des lois qui, non seulement restreindraient nos libertés légitimes, et s’opposeraient à des actions qu’elles n’auraient pas le droit d’interdire, mais qui nous en commanderaient de contraires aux principes éternels de justice ou de pitié, que l’homme ne peut cesser d’observer sans démentir sa nature[5].



[1] Je m’appuie ici sur une analyse précieuse de Jacques de Guenin.

[2] Malheureusement, depuis cette époque, l’Amérique s’est beaucoup éloignée de ses principes fondateurs.

[3] Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Chapitre IX. Des erreurs en législation.

[4] Ibid.

[5] Réflexions sur les constitutions, note V de l’édition de 1818.

Publié sur 24hGold


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