Jour 21 de l’anthologie des 30 textes de Robert Wenzel qui vous amènera à devenir un libertarien bien informé, avec ce texte de Murray Rothbard.
L’Institut Coppet vous propose pour cette rentrée, en partenariat avec Contrepoints, l’anthologie des trente textes libertariens de Robert Wenzel traduite en français. Robert Wenzel est un économiste américain éditeur du site Economic Policy Journal et connu pour son adhésion aux thèses autrichiennes en économie. Cette anthologie regroupe une trentaine de textes qui s’inscrivent quasi-exclusivement dans le courant autrichien et plus généralement dans la pensée libertarienne. Le but principal de cet ensemble bibliographique de très grande qualité est de former au raisonnement libertarien, notamment économique, toute personne qui souhaiterait en découvrir plus sur cette pensée.
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Résumé : L’application des droits de propriété à l’eau pose un certain nombre de problèmes que tente de résoudre Murray N. Rothbard en se posant quelques questions : Comment doit-on établir la propriété ? À qui appartient la terre offerte par la nature, où aucun travail n’a été préalablement fait par l’homme ? Comment attribuer les droits sur la terre, sur les ruisseaux, sur des parties de mer pour la pêche, etc. ?
Par Murray N. Rothbard
Traduit par Andréas Dieryck, Institut Coppet
Murray N. Rothbard (1926-1995) fut le doyen de l’école autrichienne, fondateur du libertarianisme moderne, et directeur académique du Mises Institute. Il fut également éditeur avec Lew Rockwell du Rothbard-Rockwell Report, et avait nommé Lew Rockwell comme son exécuteur testamentaire.
Cher M. Read,
Je vous félicite pour la publication de votre stimulant article sur « La propriété et le contrôle de l’eau » dans le numéro de novembre des Idées sur la liberté.
Il est extrêmement important que nous réfléchissions plus à ces aspects si délicats de complexité de notre système sociétal. Je vous propose ces réflexions supplémentaires sur les droits de propriété de l’eau, non pas comme une solution définitive, mais comme une contribution à la résolution de certaines des questions soulevées par le professeur anonyme dans son article.
Depuis quelque temps, j’ai la conviction qu’un point crucial de notre système sociétal est lié à la propriété de la terre – la terre désignant ici les ressources naturelles de n’importe quel type physique. Ce problème de la propriété est au cœur de notre conflit avec les socialistes.
Ces derniers soutiennent que l’État est ou devrait être le propriétaire légitime des biens de l’ensemble de son territoire. Si l’on accepte cette prémisse socialiste, alors s’en suivra le contrôle des hommes.
La question clé est donc celle de la propriété. Comment la propriété devrait-elle être établie ? Il semble évident que nous soutenions qu’un adulte devrait être son « propre propriétaire », de sorte qu’il doit être propriétaire de sa personne. Il a également un droit sur toute la propriété qu’il crée et il peut soit, s’il le choisit, donner cette propriété à d’autres, soit l’échanger contre une autre propriété. Par conséquent on doit accepter au propriétaire le droit de léguer ou d’hériter sa propriété.
Une fois cela dit, le problème de la propriété donnée par la nature, celle qui n’est créée par personne, reste sans réponse. De qui est-elle la propriété ? À qui devrait appartenir la terre ?
Sans tenter ici de développer trop longuement notre argument, il me semble clair que ni la société ni l’État n’a de droit – que ce soit au travers d’une revendication économique ou morale – sur la propriété des terres. Une production, c’est, selon moi, la combinaison du travail de l’homme avec la matière donnée par la nature : il la transforme en biens de plus en plus opérationnels. Il en est ainsi de toutes les productions. Si un homme a un droit sur les produits qu’il crée, il a tout autant de droits sur les terres et les matériaux donnés par la nature qu’il a le premier trouvés et qu’il a rendu productifs. En d’autres termes, la terre en incluant l’eau, les mines, etc. – se trouvant dans un état primitif et inexploité – est économiquement sans propriétaire et sans valeur ; elle devrait par conséquent légalement n’être la propriété de personne. Cette terre sera légalement la propriété de la personne qui l’aura exploitée en première. C’est un principe que nous devrions résumer par cette formule : « le premier exploitant est le premier propriétaire ».
Il me semble que ce principe est en accord avec la doctrine libertarienne, et c’est seulement le principe de la propriété initiale qui donne du sens aux termes de cette doctrine. Aujourd’hui, ce principe de « premier exploitant-premier propriétaire » désigne une méthode de mise sur le marché – et in fine de création de droits de propriété – des ressources inutilisées et n’étant la propriété de personne. Après cette mise sur le marché, il devient clair que la propriété, à travers les divers efforts et travaux de son premier exploitant, passe complètement et absolument entre ses mains. À partir de là, il peut utiliser sa propriété comme il le souhaite ; son utilisation peut s’avérer peu rentable au bout de quelques années, et le propriétaire pourrait, par exemple, la laisser en jachère. Ce devrait être un droit incontestable du propriétaire que de faire comme bon lui semble avec cette propriété, même s’il s’agit de la laisser reposer en jachère. Une fois la propriété acquise au premier exploitant, elle doit être absolument sienne.
Nous avons maintenant un point de vue libertarien pour nous attaquer au difficile problème de la propriété de l’eau. Là où il n’y a pas de rareté de l’eau, mais une certaine abondance, il ne devrait pas y avoir de propriété sur l’eau ; ainsi, il n’y a pas besoin de droits de propriété en haute mer, ou d’autorisation à demander à un propriétaire pour utiliser une partie des voies de navigation afin de traverser un océan.
En revanche, le cas de la pêche pose un problème différent. Les individus et les entreprises devraient être, selon moi, définitivement en mesure de posséder des parties de la mer à des fins de pêche. Le communisme présent dans la répartition de la pêche en mer a inévitablement conduit à l’extermination progressive des ressources, puisqu’il est de l’intérêt de tout le monde d’attraper le plus de poissons possible avant le prochain pêcheur, mais qu’il n’est de l’intérêt de personne de préserver les réserves de pêche. Le problème serait résolu si, à la lumière du principe de « propriété initiale au premier exploitant », les parties de la mer étaient la propriété d’entreprises privées.
S’accorder sur la propriété de l’eau douce est plus difficile, comme le souligne le professeur.
Quelle est la solution ? Nous devons d’abord nous concentrer, non pas à nous extraire de la présente relation de propriété que nous entretenons avec l’eau – serait-ce nécessaire ? – mais plutôt à tenter de visualiser un arrangement idéal. Une fois cet arrangement idéal connu, on pourra commencer à travailler et tendre vers lui, en tenant compte de la situation présente. Il est crucial de ne pas confondre les deux problèmes : la rareté et l’abondance. L’idéal pour les biens rares est celui du principe de « propriété initiale au premier exploitant ».
Il est évident que la voie de la justice se trouve le long de l’appropriation plutôt que sur le chemin riverain. En effet, quels droits un propriétaire a-t-il sur chaque partie d’un ruisseau qui borde ses terres, juste parce que son terrain jouxte le ruisseau ? Il ne peut s’agir d’un droit moral, en tout cas. Son droit, en tant que riverain, ne repose pas non plus sur son exploitation passée de l’eau. En fait, son unique but semble être de bloquer l’utilisation de l’eau par un autre, et le résultat en est un gaspillage criminel de l’eau des rivières et des ruisseaux.
Pourquoi un propriétaire riverain devrait-il pouvoir revendiquer un droit sur cette eau ?
La méthode de l’appropriation est donc la solution la plus juste. Son principal défaut est qu’elle a été trop limitée (et nous sommes tous redevables du professeur pour son explication claire des différentes méthodes de répartition de la propriété). Le moyen de modifier la méthode d’appropriation est le suivant :
1. Éliminer toutes les conditions d’utilisation dites « bénéfiques » – le terme est dénué de sens, et ne peut être concrètement imputé que sur le marché libre.
2. L’eau doit être la propriété absolue de celui qui se l’approprie, et jamais à la merci de l’État.
Par conséquent, le propriétaire doit être libre de vendre ses droits de propriété sur l’eau à n’importe qui d’autre, dans n’importe quel but, ou d’arrêter de l’utiliser complètement. S’il échoue soit à user de son droit de propriété, soit à le vendre, il faudra en conclure que ce n’est pas la peine de l’introduire sur le marché. En tout cas, la décision doit être celle du propriétaire – de celui qui s’approprie l’eau.
Comment mettre en place la méthode de l’appropriation absolue dans les États de l’Est – avec ou sans compensation pour le propriétaire riverain – est une question qui doit nécessairement être réglée. Si les propriétaires en aval veulent éviter les pollutions venant de l’amont, il existe une solution simple, à travers la méthode de l’appropriation : acheter la rivière entière, aux propriétaires initiaux, et ensuite soit l’utiliser sans polluer, soit la laisser entièrement en jachère.
Là où il y a des rivières souterraines, le propriétaire initial peut posséder sa part d’eaux et l’utiliser comme il le veut. Néanmoins, il n’y a aucune raison pour lui de posséder toute la rivière. Ainsi, tant pour une rivière souterraine que pour une rivière de surface, le propriétaire initial et les acheteurs ultérieurs possèdent la première portion utilisée d’un débit de la rivière, et le prochain propriétaire possède une portion d’eau en aval qui, elle, a peut-être déjà été utilisée.
En outre, si les individus en aval veulent construire un barrage et qu’ils inondent ainsi les terres en amont dans le but de se préserver eux-mêmes des inondations, ils doivent faire – dans une société libertarienne – deux choses :
1. Acheter les droits sur l’eau qu’ils proposent de contrôler et
2. Acheter les terrains à inonder. S’ils veulent préserver les forêts afin d’éviter les sécheresses, ils peuvent acheter les forêts à leur propriétaire.
J’espère, par ces remarques, avoir contribué à vous aider.
Murray N. Rothbard,
New-York City.
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