Raphaël Enthoven, sur France Culture, recevait le 11 septembre 2009 Alain Laurent et Valérie Charolles dans le cadre de son émission Les nouveaux chemins de la connaissance. L’émission était enregistrée en “live” à la fête de l’Humanité.
Alain Laurent est philosophe, historien des idées et éditeur. Il est l’auteur de “La philosophie libérale” et de “Le libéralisme américain, histoire d’un détournement.”
Valérie Charolles est directrice des affaires économiques et financières de Radio France. Elle est l’auteur de “Le libéralisme contre le capitalisme”.
L’émission est structurée en 3 parties que vous pouvez télécharger ici :
L’enjeu de ce débat n’apparait pas clairement au départ. Valérie Charolles se présente comme libérale et disciple d’Adam Smith. Selon elle, Adam Smith aurait introduit une sorte de hiérarchie entre d’une part la valeur-travail (primordiale) et d’autre part la valeur-capital (secondaire). De là, elle reproche au capitalisme actuel de s’être éloigné de ses sources théoriques en privilégiant la valeur-capital au détriment de la valeur-travail. Le capitalisme serait devenu anti-libéral et donc le libéralisme authentique devrait devenir anti-capitaliste…
On reconnait ici la rhétorique habile d’une gauche moderniste qui cherche par tous les moyens à sauver le socialisme du marxisme en lui donnant une justification libérale. Le débat devient plus clair, car l’on comprend qu’il porte en fait sur la nature même du libéralisme. Un libéralisme social ou un socialisme libéral est-il pensable ? La réponse est oui bien sûr, mais c’est tout sauf du libéralisme classique.
L’idée n’est pas nouvelle. On la trouvait déjà chez un Léon Bourgeois, en France au début du XXe siècle, puis chez un John Dewey, aux USA. Tous deux avaient comme objectif de fusionner le libéralisme et le socialisme. Or, comme le rappelle très justement Alain Laurent, c’est à partir de ce moment là que le libéralisme aux Etats-Unis est devenu synonyme de “gauche moderne”. Les “liberals” américains sont les penseurs de la sociale-démocratie et du Welfare State. D’où le fait aussi que les libéraux classiques, aux USA, ont dû trouver un autre nom pour se démarquer du “liberalism”. Ils ont trouvé, faute de mieux, “libertarianism”.
On peut bien sûr aussi, comme Valérie Charolles ou Monique Canto-Sperber, se réclamer d’Adam Smith dans cette entreprise de refondation sociale du libéralisme. Mais l’honnêteté oblige à signaler qu’Adam Smith, tout génial qu’il fut, a été justement corrigé sur un certain nombre de points par bon nombre de ses disciples. Les économistes continentaux, français (Say, Bastiat) puis autrichiens (Mises, Hayek), ont bien montré que la valeur réside non dans le travail, ni dans le capital (exit Ricardo, Marx et l’école anglaise) mais dans le désir humain. La valeur est l’expression du désir que les hommes éprouvent pour les choses (théorie de la valeur utilité par exemple chez Say). La dialectique prétendue du travail et du capital a déjà pris un coup dans l’aile. De plus, il faut sortir de l’alternative binaire entre le travailleur et le financier (c’est-à-dire l’actionnaire, celui qui détient le capital).
Jean-Baptiste Say, puis Schumpeter à sa suite, ont montré qu’il existe un troisième homme : l’entrepreneur. Ce dernier est un audacieux qui accepte le risque de l’innovation, lance de nouveaux produits ou de nouvelles techniques et n’est jamais sûr, à l ‘avance, d’en tirer un profit. C’est lui qui crée de la valeur en percevant avant les autres les besoins ressentis par le marché et les moyens de les satisfaire, au meilleur coût. C’est lui qui met à profit les meilleures ressources disponibles pour les adapter à la demande.
Dans cette perspective, le profit n’est pas le revenu du capital investi, mais la juste rémunération de l’entrepreneur. On ne peut donc pas réduire le capitalisme au travail ni au capital. Il faut élargir notre vision et y intégrer la dimension entrepreneuriale du capitalisme. Sans elle, aucun progrès économique n’est possible. Enfin, Alain Laurent rappelle que Smith est loin d’être le fondateur du libéralisme puisqu’il a été largement précédé de penseurs comme Boisguilbert, Cantillon, Quesnay ou Turgot. C’est là, dans la pensée française des Lumières, qu’il faut chercher l’origine du libéralisme.
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