Introduction par Marc Lassort, Institut Coppet
Milton Friedman a publié son ouvrage Capitalisme et liberté en 1962, à un moment de l’histoire où les idées keynésiennes dominaient littéralement l’ensemble des politiques économiques conduites par les dirigeants du monde développé. L’ouvrage ayant connu de multiples éditions à travers les années, Milton Friedman pouvait constater le début d’une remise en cause du paradigme keynésien parmi les économistes, le début d’un ralentissement économique alliant chômage et inflation, ainsi que l’essor considérable qu’a connu le monétarisme à partir de la crise pétrolière du milieu des années 70.
La principale idée développée dans Capitalisme et liberté est que la liberté économique est une condition nécessaire au développement de la liberté politique, sans être suffisante. Milton Friedman y présente également un ensemble de propositions d’inspiration libérale comme le système de changes flottants, le chèque éducation, la flat tax, la fin des professions réglementées, ou encore le fameux impôt négatif sur le revenu. L’extrait de son livre que nous vous proposons consiste en la présentation d’un ensemble d’activités dont l’État fédéral américain devrait se décharger à ses yeux. Selon le célèbre économiste de l’école de Chicago, le rôle de l’État est avant tout d’assurer le respect des règles de droit, la sécurité des citoyens, et de pallier les éventuelles défaillances du marché telles que les monopoles. Au-delà de cette stricte limitation du pouvoir d’action de l’État, Milton Friedman plaide pour un désengagement de la sphère publique.
Nous remercions André Fourçans, professeur d’économie à l’ESSEC, qui a rédigé la préface, ainsi que son traducteur A. M. Charno, pour cette édition française. Vous pourrez le trouver sur Amazon.
Extrait de Capitalisme et liberté de Milton Friedman
Chapitre II – Le rôle du pouvoir politique dans une société libre
Conclusion
Un État qui maintiendrait la loi et l’ordre, qui nous servirait de moyen pour modifier les droits de propriété et les autres règles du jeu économique, qui se prononcerait sur les disputes concernant l’interprétation de ces règles, qui veillerait à l’application des contrats, qui encouragerait la concurrence, qui nous fournirait un cadre monétaire, qui se préoccuperait de faire échec aux monopoles techniques et de triompher des effets de voisinage généralement regardés comme suffisamment importants pour justifier l’intervention gouvernementale, qui compléterait enfin le rôle de la charité privée et de la famille en protégeant l’irresponsable, qu’il s’agisse d’un fou ou d’un enfant – un tel État aurait, il en faut convenir, d’importantes fonctions à remplir. Le libéral conséquent n’est pas un anarchiste.
Il est cependant tout aussi vrai qu’un tel État aurait des fonctions nettement limitées et qu’il s’interdirait tout un ensemble d’activités qui, aux États-Unis, sont aujourd’hui celles du gouvernement fédéral et des gouvernements des États fédérés. Les chapitres qui suivent traiteront assez en détail de certaines de ces activités, et quelques-unes d’entre elles ont déjà été discutées, mais je pense qu’il est utile, pour clore ce chapitre, de donner simplement la liste de certaines des tâches dont se chargent actuellement les pouvoirs publics aux États-Unis et qui ne peuvent, à mon avis, se justifier vraiment en fonction des principes esquissés plus haut. Peut-être cela contribuera-t-il à donner une idée de l’ampleur du rôle qu’un libéral assigne aux pouvoirs publics.
1. En agriculture, les programmes de soutien de la parité des prix.
2. Les taxes sur les importations et les restrictions aux exportations : quotas concernant actuellement le pétrole, le sucre, etc.
3. Le contrôle gouvernemental de la production : programme agricole, rationnement du pétrole tel qu’il est pratiqué par la commission des chemins de fer du Texas.
4. Le contrôle des loyers, tel qu’il est encore pratiqué à New York et, plus généralement, les contrôles des prix et des salaires tels qu’ils ont été imposés durant et immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale.
5. Les taux minimaux légaux des salaires ; ou les prix maximaux légaux : maximum légal des taux d’intérêt payé sur les dépôts à vue dans les banques commerciales, taux maximaux légaux payés sur l’épargne et les dépôts à terme.
6. La réglementation détaillée des industries, telle celle des banques, ou celle des transports par la Commission du commerce inter-États. Cette dernière réglementation, quand elle fut d’abord introduite, se justifiait, touchant les chemins de fer, pour des raisons de monopole technique ; elle n’a aujourd’hui aucune justification pour aucun moyen de transport.
7. Le contrôle de la radio et de la télévision par la Commission fédérale des communications. Cet exemple, analogue aux précédents, mérite cependant une mention spéciale car il suppose une censure implicite et la violation de la liberté de parole.
8. Les programmes actuels de sécurité sociale, en particulier les programmes de retraite, qui forcent en fait les gens : a) à consacrer une fraction spécifiée de leurs revenus à la constitution d’un fonds de retraite ; b) à s’adresser pour ce faire à une entreprise publique.
Le fait que dans divers États ou villes, l’exercice de certains métiers ou professions est réservé à ceux qui possèdent une autorisation, une licence ou une patente, cette autorisation étant tout autre chose que le simple reçu d’une taxe que doit payer celui qui veut se lancer dans telle ou telle activité.
9. La masse des programmes destinés à subventionner la construction de logements.
10. La conscription en temps de paix. Dans le cadre du marché libre, le dispositif indiqué est celui du volontariat. Rien ne justifie que l’on ne paye pas le prix nécessaire pour attirer le nombre nécessaire d’hommes. Les dispositions actuelles sont iniques et arbitraires ; elles violent gravement la liberté que devraient avoir les jeunes gens de mener leur vie comme ils l’entendent, et sont probablement plus coûteuses que celles que nous proposons. (La formation militaire universelle destinée à fournir une réserve pour le temps de guerre constitue un problème différent et peut se justifier à partir des positions du libéralisme.)
11. Les parcs nationaux (voir ci-dessus).
12. L’interdiction légale de tirer un bénéfice du transport du courrier.
13. Les routes à péage, lorsqu’elles sont propriété publique et sont administrées par les pouvoirs publics.
Cette liste est loin d’être exhaustive.
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